Beaux livres
Raoul Peck
Ernest Cole
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Raoul Peck
Ernest Cole
Denoël
16/10/2024
238 pages, 35 €
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Chronique de
Sarah Gastel
Librairie Adrienne (Lyon) -
❤ Lu et conseillé par
6 libraire(s)
- Laurence Behocaray de I.U.T. Carrières sociales, Université (Tours)
- Karine Clugery de Les Mots voyageurs (Quimperlé)
- Valérie Briland de Hirigoyen (Bayonne)
- Virginie Lannoy de Le Bateau Livre (Lille)
- Nicolas Ferreira de D'un livre à l'autre (Avranches)
- Mélanie Giustino de La Mouette Rieuse (Paris)
✒ Sarah Gastel
(Librairie Adrienne, Lyon)
En 1967, les photos d’Ernest Cole, photographe sud-africain, donnent à voir pour la première fois au monde entier les monstruosités de l’apartheid. Exilé aux États-Unis, il devient vite un Noir parmi les Noirs américains. Le cinéaste haïtien Raoul Peck capture son parcours tourmenté dans ce magnifique livre.
Alors qu’il n’a que 27 ans, Ernest Cole, qui a fui l’Afrique du Sud en 1966 en emportant clandestinement de nombreux négatifs, publie à New York House of bondage. Salué rétrospectivement comme une œuvre majeure du XXe siècle, son livre, qui joue un rôle essentiel dans la réaction de l'opinion internationale vis-à-vis de l’apartheid, est interdit dans son pays. Ernest Cole, apatride, vit alors une « lente désintégration ». S’il photographie ses contemporains, il ne trouvera jamais sa place dans l’Amérique raciste, établissant un parallèle entre l’apartheid et les lois Jim Crow. Il meurt seul en 1990, l’année de la libération de Mandela, sans avoir revu l’Afrique du Sud qui s’apprête à mettre un terme au régime d’apartheid. En 2017, son héritage émerge mystérieusement : plus de 60 000 des négatifs de ses photos américaines réapparaissent en Suède. À partir des milliers d’images qu’a laissées Ernest Cole, de sa correspondance et de ses notes de travail ainsi que du témoignage de ses proches, Raoul Peck reconstruit l’itinéraire de ce photographe de génie oublié. Directement adapté du film qu’il vient de lui consacrer, prix du meilleur documentaire à Cannes en mai dernier, ce livre scindé en deux parties par l’exil (1940-1966 : Afrique du sud ; 1972-1990 : États-Unis) compose une remarquable « autobiographie photographique ». Abondamment constitué des stupéfiantes photographies en noir et blanc de Cole où ressortent parfois des thématiques telles que « Les domestiques », « Whites only », « Système punitif », « Harlem » ou encore « Amour », il suit la chronologie biographique de l’artiste. De son premier job décroché grâce à un jeune photographe allemand, Jürgen Schadeberg, pour le magazine Drum à Johannesburg, à sa fin de vie dans le dénuement le plus complet, en passant par son arrivée à New York où il décroche une bourse de la Fondation Ford afin de documenter la vie afro-américaine dans les villes et les zones rurales des États-Unis. Une trajectoire racontée à hauteur d’homme – Raoul Peck s’est mis « dans la peau » de son sujet dans un récit à la première personne – qui témoigne des tourments d’Ernest Cole découvrant que l’Afrique du Sud « n’était qu’un sujet parmi d’autres à l’ordre du jour de l’ONU » et qu’il est condamné « à une vie de chroniqueur de la misère, de l’injustice et de la cruauté » dans un pays qui s’enorgueillit d’être le modèle des démocraties. Une plongée passionnante dans les luttes des années 1960 et 1970 et un splendide portrait d’artiste.