Polar

Leye Adenle

La dame en noir

Entretien par Sarah Gastel

(Librairie Adrienne, Lyon)

Nouveau venu dans la galaxie du polar, Leye Adenle nous embarque pour une virée électrique au cœur de ces quartiers chauds de Lagos qui dévorent les vies et les immondices. Un polar survolté dénonçant la condition féminine et qui déconstruit avec humour le poncif d’une Afrique barbare.

Il n’est pas bon « de faire courir sa bouche » en parlant sans réfléchir, à Lagos, quand on est Blanc. Surtout quand on se retrouve dans un commissariat bondé de policiers à moitié analphabètes, qui rackettent les citoyens. C’est ce que va apprendre le dénommé Guy Collins. Fraîchement débarqué dans la capitale nigériane pour couvrir les élections présidentielles, ce journaliste anglais se retrouve à enquêter sur des meurtres de prostituées sur fond de juju, un rite de magie noire impliquant un trafic d’organes humains. Aidé de la lumineuse Amaka, qui met son savoir et ses compétences au service de la protection des femmes et qui connaît Lagos comme sa poche, Guy va découvrir une ville fascinante, où la beauté côtoie le crime. La métropole tentaculaire est d’ailleurs un personnage à elle seule avec son énergie électrique. Polar urbain magnétique qui n’a rien à envier aux plus grands, Lagos Lady est la surprise de la littérature policière. À découvrir sans plus tarder.

Page Lagos Lady est une plongée politique dans la bouillonnante capitale du Nigeria. Sur fond de corruption et de crise des valeurs, des prostituées sont assassinées. Pensez-vous que le polar soit le genre le plus juste pour évoquer un pays et ses contradictions ?
Leye Adenle­ — Cette histoire devait être racontée sous la forme d’un roman policier. Ce n’est pas tant un état de la situation socio-politique au Nigeria que le récit de la vie d’une femme admirable appelée Amaka et de ce qu’elle fait. Il aurait été difficile de raconter sincèrement son histoire sans tenir compte du fait que les personnages de Lagos Lady sont tous confrontés à la corruption, au crime, à la pauvreté et à la violence qui les entourent, autant qu’à la compassion, la force, la gentillesse et la beauté qui font aussi partie de leur environnement.

Page — Vous dénoncez les violences exercées contre les femmes. Entre les prostituées, dont personne ne se préoccupe, et leur mystérieuse protectrice Amaka, femme d’action déterminée et libérée, il y a un gouffre. Quelle est la condition féminine au Nigeria ?
L. A. — Dans beaucoup d’aspects de la vie au Nigeria, entre autres injustices, les femmes sont sous-représentées, pas émancipées et mal protégées. Mais ce n’est pas propre à la société nigériane. Dans le monde entier, les sociétés sont dominées par les hommes et c’est le sexisme généralisé qui légitime la violence envers les femmes. Les femmes ne sont d’ailleurs pas forcément plus libres dans les sociétés « libérales ». Il suffit juste de regarder quelques blogs pour tomber sur des sujets comme « Comment garder son homme », ou « 10 choses qu’une femme doit savoir pour satisfaire son homme ». Et cela dans des sociétés dites « développées ». Tant qu’il y aura des endroits dans le monde où les femmes ne seront pas libres, la situation des femmes au Nigeria ne sera pas différente.

Page — Le journaliste anglais Guy Collins mène l’enquête. Souvent à côté de la plaque, il souhaite revenir de Lagos avec un tas d’histoires à raconter. Il ne sera pas déçu ! Pourquoi avoir choisi le point de vue d’un étranger ?
L. A. — Lagos est pleine de spectacles étonnants, fascinants, effrayants, qu’un Lagosien n’a plus le recul pour remarquer. Amaka est devenue aveugle à la magie de sa propre ville. Guy, en revanche, n’a jamais vu d’hommes d’affaires dont les gardes du corps sont des policiers armés d’AK 47. Ni une boîte de nuit pleine de belles femmes noires dignes des spots de la Fashion Week parisienne. Ces choses le frappent parce qu’elles sont inédites pour lui. Et grâce à ce regard neuf qui voit tout, nous les remarquons également, parce que chaque chose est une expérience inédite.

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Le polar est le genre urbain par excellence et Lagos Lady offre un formidable instantané des rues de Lagos, des quartiers chauds aux hôtels chics, où l’on brûle la vie par les deux bouts. Pourquoi avoir choisi Lagos pour votre intrigue ?
L. A. — Je connais Lagos et je l’aime. C’est une belle maîtresse, dangereusement imprévisible, énigmatique et inoubliable. Elle vous dit : « Viens, on va régler des comptes ». Elle ne vous force pas, vous avez le choix. Vous pouvez dire oui ou non. Si vous refusez, elle ne sera pas fâchée, elle n’essayera pas de vous faire changer d’avis. Mais elle vous réglera votre compte. C’est ça Lagos : soit vous gagnez, soit vous perdez. Votre destin est constamment en train d’être défini, redéfini, soupesé et décidé. C’est ce que j’ai vécu avec elle. C’est un personnage formidable et, la plupart du temps, ce qui arrive à cette Dame ne pourrait arriver qu’à elle. On devrait plus écrire sur elle.

Page — Aviez-vous des influences en tête lors de l’écriture de votre livre ?
L. A. — Non. Mais vous êtes ce que vous lisez. J’aime particulièrement James Patterson pour la clarté et l’économie de son écriture. À mon avis, ce sont des qualités dont un lecteur ne devrait jamais être privé, quel que soit le type de texte qu’il a entre les mains.

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