Littérature française

Que nos joies demeurent

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Par Sarah Gastel

Librairie Terre des livres (Lyon)

Rien que son nom est une invitation. Jean-François Beauchemin, auteur du Jour des corneilles, que le bouche à oreille des libraires a érigé en roman culte, éclaircit de nouveau nos solitudes grâce à la parution de trois ouvrages enluminés de gravité et d’émerveillement au monde.

Il est des sujets dont il est difficile de parler sans tomber dans les lieux communs, la mièvrerie ou la naïveté. Des sujets comme la beauté, l’amour ou l’espoir sont en effet d’inépuisables réservoirs de clichés et l’immense talent de Jean-François Beauchemin, maintes fois primé au Québec, réside dans sa capacité à convoquer un émerveillement semblable aux premiers matins du monde, au-delà des chagrins de la vie, avec une justesse saisissante. Publié aux éditions Québec Amérique, Le Vent léger est une réussite. À l’automne de l’année 1971, six enfants diablement attachants et leurs parents vivent une existence insouciante à la campagne jusqu’au jour où la mère tombe malade. Le drame point mais la famille Cresson, très peu douée pour la tragédie, a développé une sorte de méthode de vivre basée sur une théorie du bonheur. Il faut vivre avec les jours et compenser la brièveté renversante de l’existence par une foi en la beauté du monde. Narré par le cadet de la fratrie, en brefs chapitres ponctués d’épisodes de l’Histoire récente du Québec et du monde, Le Vent léger est un livre rare par la délicatesse qui s’en dégage. Jean-François Beauchemin poursuit son arpentage des territoires de l’enfance, de la vie et de la mort, prolongeant ses Archives de la joie sous-titrées « Petit traité de métaphysique animale ». Traversée des quatre saisons, ces miscellanées composent un « bestiaire de la mémoire » savoureux : « On devrait cesser de répéter partout qu’il ne fait pas bon regarder en arrière, qu’il est impératif d’aller de l’avant, d’avancer, toujours avancer. Je vais le dire carrément : je me suis tout de suite senti plus heureux quand j’ai commencé à aimer mon passé. » Cette simplicité d’une vie menée à l’aune d’un regard lucide et de petites joies se retrouve dans Le Roitelet (Folio) qui conte une histoire d’amour entre deux frères. Le premier, employé chez un pépiniériste, est schizophrène, l’aîné est écrivain : « Mon frère devenait peu à peu un roitelet, un oiseau fragile dont l’or et la lumière de l’esprit s’échappaient par le haut de la tête ». Au fil des ans se déploie une relation unique, parfois chahutée, mais toujours surplombée par une tendresse infinie. Dans ce court texte magnifié par la nature environnante, où les deux personnages se nourrissent l’un de l’autre, l’auteur québécois fend les épreuves et nous souffle que la « seule grammaire qui vaille » est la beauté.