Qui est l'auteur de ce journal qui se présente comme le protecteur des vieillards de Rome ?
Grégory Le Floch - Un jeune homme qui vit à Rome dans les années 1950. Il prend des notes dans son journal d'une façon très raffinée. C'était important pour moi parce qu'il va raconter dans le détail des choses moins classiques : ses amours atypiques avec les vieilles dames et les vieux messieurs de Rome. Au début, cela peut paraître déroutant. Mais comme va le découvrir sa petite fille, son désir n’est pas pervers. Son grand-père va se présenter comme le protecteur de tous ces vieillards qui sont coupés du monde et qui n'ont que ce jeune homme pour éprouver du plaisir, être désiré. Les relations vont être en réalité bien au-delà du sexe parce qu'il apporte de la nourriture, une compagnie. Les vieillards sont maintenus en dehors de l'humanité – Simone de Beauvoir l'exprime dans La Vieillesse –, et mon personnage va les raccrocher à quelque chose de très humain, le désir. Il produit un petit miracle, il rétablit une sorte de justice, de beauté.
Votre personnage développe un art d'aimer les vieux et l’on sent comme une jubilation dans la description de ses amours.
G. L. F. - Oui, c'est vraiment un esthète, un fétichiste des vieux. J'aime les sujets qui sont un peu poil à gratter et dérangeants. J'ai voulu esthétiser l'art d'aimer la vieillesse. L'art de transformer quelque chose qui n'est pas forcément beau, à priori, en quelque chose de poétique. C'est vraiment ce qui doit intéresser la littérature. Je suis fan de Gabrielle Wittkop et je lisais les livres de Tanizaki : ce thème ne pouvait que me plaire. Et la vieillesse est l'un des grands tabous aujourd'hui. Pourtant elle s'impose à chacun d'entre nous aussitôt qu'on y réfléchit. On envisage beaucoup plus sa propre mort que sa vieillesse, c'est ça qui est intéressant et j'entends beaucoup de gens autour de moi qui disent : « moi, je veux mourir jeune », comme s'il fallait sauter une étape horrible. Je sais que les gens projettent énormément de peurs sur cet âge et j'ai voulu traiter, dans la première partie du livre, de ces fantasmes en les poussant au maximum et, dans la seconde partie, montrer quelque chose de radieux.
Votre roman figure un mouvement vers la lumière : les personnages vont et viennent avec le soleil.
G. L. F. - J’ai la particularité d'écrire dehors et de lancer tous mes romans l'été sur la plage parce que je sais que l'hiver, je ne vais faire que radoter, repriser. Pendant l’écriture de ce roman, j'étais fasciné par le soleil, je le cherchais en permanence. J'ai acheté un livre intitulé The Book of Citrus Fruits. Ce sont des gravures du XVIIIe siècle avec des citrons immenses qui flottent dans les airs au-dessus de petits villages. Le citron est aussi un personnage important dans mon livre. Ce n'est pas qu'un livre sur des relations sexuelles avec des vieillards, c'est aussi un livre sur la sensualité de l'Italie.
À la lecture, l'on découvre des petits récits enchâssés comme autant de cabinets de curiosités.
G. L. F. - C'est exactement ça. Il y a bien un fil conducteur, une intrigue et une narratrice qui va découvrir chez la femme qui la loge une bibliothèque secrète constituée de livres qui tournent autour de la vieillesse. J'essaie de faire une sorte de parcours du monde de la vieillesse et de voir comment les vieux sont déshumanisés dès qu'ils ne servent plus. Dans une tribu amazonienne, on leur demande de tisser eux-mêmes un panier, de s'y jeter et de ne plus réapparaître dès lors qu'ils ne sont plus utiles à la communauté. Les Inuits, d'aller sur la banquise et de disparaître. Le vieux fait peur et j'ai montré qu’il pouvait ne pas faire peur, qu’il pouvait être désirable même.
Pourriez-vous nous parler du titre qui est aussi un personnage du livre.
G. L. F. - Le livre s'appelle Gloria, Gloria. Si c'était un seul gloria, cela aurait été un personnage du livre ; puisqu'il est répété, cela devient un chant. Gloria, Gloria, ça pourrait être un titre de chanson des années 1980 – de Donatella Rettore ou Patty Pravo, mes icônes. C’est en tout cas des morceaux de Vivaldi, Bach. C'est à la fois pop, catho et queer !
Sur l’île d’Elbe, une jeune femme part en pèlerinage sur les traces de son grand-père qui s’est enfui de Rome après-guerre pour se réfugier dans une grotte. Cinquante ans plus tard, le journal de son aïeul en bandoulière, elle cherche à comprendre les raisons de sa fuite et à découvrir qui était cet homme qui se voulait le gardien des vieillards. S’aventurant là où la littérature ne s’aventure que rarement – les personnes âgées n’ont pas ordinairement le premier rôle –, Grégory Le Floch fait son miel de tout : sensualité et corps vieillissants carillonnent, ironie suave et chant séraphique s’entrechoquent. L’humanité est là, tout entière et elle est sacrée. Un chant d’amour capiteux et lumineux.