Littérature étrangère
William Melvin Kelley
Un autre tambour
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William Melvin Kelley
Un autre tambour
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Lisa Rosenbaum
Delcourt
04/09/2019
284 pages, 20,50 €
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Chronique de
Sarah Gastel
Librairie Adrienne (Lyon) -
❤ Lu et conseillé par
7 libraire(s)
- Marie Michaud de Gibert Joseph (Poitiers)
- Anne-Sophie Rouveloux
- Sarah Gastel de Adrienne (Lyon)
- Sébastien Lavy de Page et Plume (Limoges)
- Maria Ferragu de Le Passeur de l'Isle (L'Isle-sur-la-Sorgue)
- Jacques Planchon de Le Mille Feuilles (Clamecy)
- Joachim Floren de Le Matoulu (Melle)
✒ Sarah Gastel
(Librairie Adrienne, Lyon)
Publié pour la première fois en 1962 à l’époque du Mouvement des droits civiques, Un autre tambour imagine un monde où les Afro-américains prennent le pouvoir par un extraordinaire mouvement populaire. William Melvin Kelley, génial, audacieux et d’une grande modernité.
Redécouvert récemment par la journaliste Kathryn Schulz qui lui consacre un article intitulé « Le géant oublié de la littérature américaine » dans le New Yorker, William Melvin Kelley a 24 ans lorsque paraît son premier roman qui lui vaut d’être considéré comme l’un des plus talentueux artistes afro-américains de sa génération. Connu pour ses incursions satiriques dans les rapports raciaux, il possède un univers fictionnel exceptionnel où la singularité de ton se mêle à la puissance politique. Et mérite de nombreux lecteurs, foi de libraire ! Dans cette fable fascinante et franchement impertinente pour l’époque, l’auteur, essayiste à ses heures, exécute une pirouette littéraire en revisitant l’expérience afro-américaine dans le Sud. En juin 1957, à Sutton, petite ville d’un État imaginaire coincé entre le Mississippi et l’Alabama, un jeune fermier noir, Tucker Caliban, répand du sel sur son champ comme s’il semait du grain, abat ses animaux de ferme, incendie sa maison et quitte silencieusement la ville en autobus, sous les yeux ahuris de la communauté blanche. Dès le lendemain, toute la population noire vêtue de ses plus beaux vêtements, valises en main, quitte Sutton pour le Nord, « comme s’ils avaient perdu la faculté de communiquer ou n’avaient plus rien à communiquer ». Cet exode énigmatique, qui vide la bourgade d’un tiers de sa population, cristallise les passions des habitants descendant des familles esclavagistes, qui peinent à trouver une explication. Certains se sentent trahis, d’autres s’en moquent. Les langues se délient dans un bruissement de rumeurs, de contes et de points de vue pour raconter cette histoire. Chacun y va de son raisonnement. Du jeune garçon, Mister Leland, pendant masculin de Scout Finch, à la horde haineuse et raciste de Bobby-Joe, en passant par la famille Wilson qui considère Tucker Caliban comme un frère, la psyché blanche est dévoilée au fil des pages. À travers ce dispositif polyphonique et la causticité sans égal de William Melvin Kelley, ce chef-d’œuvre de subversion et d’intelligence rebat un temps les cartes de l’égalité minées par la bêtise, le racisme et la violence. Et rappelle que le problème racial aux États-Unis est un problème blanc. Récit d’un homme las des mots qui refuse de vivre sous l’emprise d’autres hommes et fresque amère d’une Amérique blanche, Un autre tambour est un texte symboliquement fort aux prises avec l’époque actuelle. Une découverte inestimable, il était temps de le rééditer.