Littérature étrangère

Cap sur l’aventure !

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✒ Sarah Gastel

(Librairie Adrienne Lyon)

Nous avons tous enfoui en nous les romans de Jules Verne et Stevenson que nous lisions avec fébrilité dans notre enfance. Pour renouer avec cette gourmandise, voici trois livres qui fleurent bon le voyage et l’aventure pour explorer le monde, frissonner et réfléchir à ce qui fait notre humanité.

Puisant ses sources dans L’Odyssée homérienne, les romans de chevalerie ou encore le roman picaresque, le roman d’aventures pointe le bout de son nez en tant que tel avec Robinson Crusoé de Daniel Defoe et éclot en France au siècle des Lumières grâce à sa diffusion dans la collection des « Voyages imaginaires » de la Bibliothèque bleue. Ce genre totalement libre, tourné vers le lecteur et ses émotions, explose au XIXe siècle avec les œuvres d’Alexandre Dumas, Fenimore Cooper, Jules Verne et Robert Louis Stevenson pour n’en citer que quelques-uns. Le succès est incontestable mais l’autonomisation du roman policier ou du roman d’anticipation au cours du xxe siècle le détrône. Pour autant, sachez-le, le roman d’aventures n’est pas mort ! S’il n’était qu’une preuve à vous fournir, je vous glisserais volontiers entre les mains Dans les eaux du Grand Nord, un captivant roman d’aventures mêlé à une tragédie effroyable. Patrick Summer, chirurgien irlandais de retour des Indes, embarque sur le Volunteer, un baleinier du Yorkshire en partance pour les mers riches du cercle polaire arctique. Concentré de friponnerie, l’équipage est constitué de pauvres hères dont la bêtise le dispute à la cruauté. Tandis que le bateau fend les flots vers les glaces, bravant les éléments liquides grouillant de vies, un jeune mousse est assassiné. Pris au piège de cette carcasse suintant l’huile de fanons, le médecin se trouve ainsi confronté au mal incarné en la personne d’Henry Drax, un harponneur sanguinaire. Héritier des récits de chasse à la baleine dont Moby Dick est le parangon, Dans les eaux du Grand Nord a des accents de Conrad dès lors qu’il s’agit de décrire des hommes aux prises avec leurs pires démons. Nous plongeons au fil des pages dans une réalité âpre et poisseuse jusqu’aux profondeurs de l’âme humaine. De quoi sommes-nous capables pour survivre ? Le tout porté par une écriture incarnée et impertinente, qui excelle aussi bien à décrire les aurores boréales que les carcasses putrescentes des phoques et le parler des baleiniers. Une réussite. Tout comme le dernier roman d’Alex Capus, Voyageur sous les étoiles, qui s’intéresse aux dernières années de la vie d’un certain… Robert Louis Stevenson. Pourquoi l’auteur de L’Île au trésor et de Voyage avec un âne dans les Cévennes décide-t-il à l’âge de trente-neuf ans d’acquérir un « petit bout de jungle impénétrable » aux îles Samoa, dans les mers du Sud, alors que rien ne le laissait présager ? Et comment expliquer la prospérité du clan Stevenson ? La richesse affichée ne peut émaner de ses succès littéraires. Un double mystère que va tenter d’élucider Alex Capus en partant sur les traces de l’auteur écossais dans ce formidable livre. Et si l’île au trésor existait bel et bien, qu’elle ne se trouvait pas du tout là où des générations de chercheurs de trésors l’ont cherchée et que Stevenson était lui aussi un de ces découvreurs ? Avec humour et tendresse, l’auteur reconstitue les années océaniques de l’écrivain en mêlant faits historiques, extraits de lettres ou de journaux de la famille Stevenson ainsi qu’une bonne dose d’imagination brouillant les pistes entre réalité et fantasme. Un superbe roman d’aventures, foisonnant de galions et de pirates, dont on sort comme un gamin fasciné, doublé d’une plongée existentielle dans l’esprit passionnant de l’écrivain-voyageur. Les trésors d’âme, ce n’est pas ce qui manque non plus dans le magnifique dernier ouvrage de Russell Banks. Fascinants récits de voyages des îles Caraïbes au parc des Adirondacks au pied des Appalaches, en passant par Gorée, Voyager, belle variation sur le déplacement et le nomadisme, est un condensé de rencontres (dont celle avec Fidel Castro !). Mais il s’agit surtout d’un voyage intérieur, celui d’un cœur. Celui d’un homme, qui du haut de ses soixante-quinze ans, son ultime voyage à portée d’œil, s’interroge sur la vie et sur l’amour. La géographie spatiale se métamorphose dès lors en cartographie intime, où l’aventure se mue en quête spirituelle.