Littérature française

Alessandro Baricco

Mr Gwyn

illustration

Chronique de Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

En musicologue averti et fin lettré, Alessandro Baricco connaît l’importance des silences, ces pauses qui rythment un récit, une mélodie, une vie. Nécessaire, évidente ou redoutée, la pause peut revêtir de multiples sens pour qui sait la pratiquer.

Jasper Gwyn est de ceux-là. Ancien accordeur de piano devenu auteur de trois romans à succès, il décide du jour au lendemain de publier dans un journal une liste de cinquante-deux choses qu’il ne souhaite plus faire, dont écrire. À la fois affolé et sceptique, Tom, son agent, l’appelle. Mais Mr Gwyn persiste à affirmer que ce n’est ni une blague ni un caprice, il entend bien ne plus rien écrire. Deux rencontres lui feront néanmoins changer légèrement d’avis : une petite vieille dans un cabinet médical, sorte de Jiminy Cricket dont la voix l’accompagnera dans un nouveau processus de création, et une série de portraits dans une galerie qui, telle une révélation, lui indiquent la voie qu’il souhaite suivre désormais. Il fera donc des portraits. Individuels, produits en un seul exemplaire. Le « client » doit pour cela s’abandonner complètement au créateur, à l’observateur, dans une démarche plus qu’originale, puisque le sujet est invité à se rendre dans un atelier loué pour l’occasion, dont l’ambiance se compose de dix-huit ampoules à la durée de vie limitée à trente jours, d’une bande sonore composée par un ami de l’écrivain et de quelques meubles. Il doit se mettre à nu au sens propre comme au figuré et y rester sans parler quatre heures par jour. Il est secondé dans cette entreprise par une jeune femme, Rebecca, ancienne stagiaire chez Tom débauchée par Gwyn pour choisir les candidats des portraits, testant elle-même le projet en avant-première. Ce roman est une mise en abyme fine et originale, le portrait d’un écrivain devenu lui-même portraitiste. Une mélodie douce et inquiétante nous accompagne dans ce roman-jeu où Baricco excelle dans l’art du labyrinthe littéraire. Mais n’ayez crainte de vous perdre, vous êtes entre de bonnes mains.

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