Littérature française

Régis Jauffret

Cannibales

illustration

Chronique de Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

Dans les cuisines du dernier roman de Régis Jauffret, on s’active, c’est qu’il ne faudrait pas traîner. Un beau morceau de viande fraîche vient d’arriver, il s’appelle Geoffrey et deux femmes ont à cœur de le déguster.

On compare souvent un bon roman à un bon plat. Il faut que le mélange soit à la fois subtil et relevé, que les ingrédients se marient tout en gardant leurs saveurs spécifiques, qu’il soit coloré et original sans pour autant heurter celui qui va le consommer. Avec ce roman épistolaire, Régis Jauffret nous offre un plat digne des grands chefs ! Il s’ouvre sur une lettre de Noémie, jeune artiste, qui annonce à la mère de Geoffrey qu’elle vient de rompre avec celui-ci. Au départ, Jeanne, ne comprend pas qu’on puisse rejeter cette merveille qu’est son fils. Puis, de lettres en lettres, les deux femmes se découvrent des points communs, nouent une relation privilégiée, et vont même jusqu’à se rencontrer. Dès lors, leur ressenti se tourne vers une seule personne : le pauvre Geoffrey. Tombé de son piédestal, il ne mérite finalement plus l’amour de ces deux femmes qui ourdissent désormais des plans machiavéliques contre lui, dont celui de le déguster rôti à la broche. Le ton du livre est à l’image de son résumé : vif, truculent, drôle, d’une fraîcheur incroyable. Et c’est en habile cuisinier que Régis Jauffret manipule le langage comme un instrument précis, juste, avec beaucoup d’élégance et le zeste de subtilité qu’il faut pour soutenir ce genre peu commun qu’est le roman épistolaire. Bien sûr on pense aux Liaisons dangereuses, car au final c’est bien moins de cuisine que d’amour dont il est question ici, cet amour protéiforme qui transcende la chair, l’amour insaisissable, dont on maîtrise mal les contours et qui erre selon son humeur d’êtres en êtres, comme une fée ou une mouche. Régis Jauffret s’en amuse et nous amuse, ne nous laissant absolument pas sur notre faim.

Les autres chroniques du libraire