Littérature étrangère

Philip Roth

Romans et nouvelles

✒ Aurélie Janssens

(Librairie Page et Plume, Limoges)

Entrer dans la Pléiade est une consécration pour tout écrivain. Y entrer de son vivant est assez rare, avec une œuvre comme celle de Philip Roth encore plus. Si la photo sur le coffret montre un homme sage au regard franc, presque sévère, on découvre assez rapidement qu’avec Philip Roth, on est loin du conventionnel et de l’ennui.

À lire les termes employés pour décrire Philip Roth et son œuvre dans l’introduction de Paule Lévy (« anticonformisme », « irrévérence », « subversion »…), on a l’impression d’être sur le point de lire une œuvre de Sade ou la biographie de Joe Strummer. Et pourtant, il s’agit bien des premières œuvres de celui que la critique (et le public) reconnaît aujourd’hui comme un maître des lettres américaines. Celui qui, à 84 ans, a décidé de mettre un terme à sa carrière de romancier, peut enfin à loisir revenir sur ses œuvres et son parcours. Quatre ans après un « Quarto » (L’Amérique de Philip Roth, Gallimard) qui reprenait quatre romans phares de sa bibliographie, la Pléiade publie ce premier volume comprenant des œuvres écrites entre 1959 et 1977 : un recueil de nouvelles Goodbye, Columbus (1959), ainsi que quatre romans, La Plainte de Portnoy (1969), Le Sein (1972), Ma Vie d’homme (1974), et Professeur de désir (1977). Si le titre La Plainte de Portnoy attire votre attention, c’est qu’en plus du travail critique sur les textes, ces derniers ont vu leurs traductions révisées selon le souhait de l’auteur afin de « rendre au plus près l’oralité des textes ». Pour compléter cette approche, vous pourrez aussi retrouver un lexique des termes yiddish et une chronologie de la vie de l’auteur. Ces deux éléments trouvent un écho particulier à la lecture de la brillante préface de Philippe Jaworski, professeur de littérature américaine, qui revient sur les procès publics ou critiques qu’a eu à subir Roth concernant ses œuvres et ce, dès les premiers écrits réunis dans ce volume. En effet, bien qu’issu d’une famille d’immigrés juifs, on lui a reproché d’être antisémite parce qu’il peint dans ses œuvres des personnages juifs avec assez peu de tendresse, voire beaucoup de moquerie. Mais ce n’est pas le seul procès d’intention auquel il a eu à faire face, on l’a aussi taxé de misogynie : ses ouvrages, qui parlent de manière crue du corps et de la sexualité, ont choqué une Amérique pas encore complètement libérée. Pourquoi s’en prendre à l’homme ? Parce qu’il est plus facile de chercher les éléments biographiques dans les écrits d’un auteur, l’assimiler à ses personnages, leurs propos, leurs attitudes, leurs comportements, que d’accepter le travail de création littéraire, de fiction. Dès lors, pour répondre à ces « procès en égotisme », Philip Roth, dont la qualité principale, on pourra s’en rendre compte dans ses romans, est avant tout d’avoir de l’humour, décide de jouer avec les lecteurs, jouer avec les masques, jouer avec les identités, les mots. Le but n’est pas de brouiller les pistes mais bel et bien de faire comprendre le sens même de la création littéraire : « rompre les attaches, s’émanciper, vivre les vies qui s’offrent à soi au gré de ses désirs, sans autre loi ni autorité que celle que l’on se donne ». On retrouve donc dans ces premiers textes tous ce qui fait le sel et le génie de son écriture : une grande lucidité sur son Histoire, son époque, une verve incroyable, un humour décapant, un sens inné de la formule non détaché d’une quête de sens, d’une quête de soi et, surtout, une très grande liberté.

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