Littérature française

Hélène Grémillon

La Garçonnière

illustration

Chronique de Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

Argentine, Buenos Aires, 1987. Un militaire et ses problèmes de couple, un pianiste qui a subi les tortures de la junte, une femme qui refuse de vieillir, se croisent dans la salle d’attente de Vittorio, psychiatre. Bourreaux ou victimes ? Les masques tombent à la suite d’un étrange fait divers.

Imaginez. Votre fille a disparu il y a cinq ans. Depuis, votre mari vous a quittée et vous vous éloignez chaque jour un peu plus de votre fils en noyant ce deuil impossible dans le maté. Le cadre feutré d’un cabinet psychiatrique recueille chaque semaine votre rage envers ceux, bien connus mais intouchables, qui lui ont fait « ça », vos angoisses et interrogations quant au « ça » en question, vos larmes et votre souffrance. Vous sortez de ce cabinet et croisez le patient suivant sans vous douter une seule seconde qu’il pourrait être le bourreau de votre fille. Car pour vous, ce genre de personne n’a pas d’âme, donc pas d’états d’âme. Et pourtant…Eva Maria est cette femme dévastée. Lorsqu’elle apprend que l’on accuse son psychiatre Vittorio du meurtre de sa femme, Lisandra, son corps parfait gisant cinq étages plus bas sur le trottoir, elle se rend au commissariat et recueille à son tour les doutes et angoisses de cet homme qui se dit innocent. Comme les policiers donnent l’impression de faire concorder tous les indices pour le condamner et « se faire un psy », elle décide de mener son enquête en parallèle. Elle commence d’abord par subtiliser les enregistrements des dernières séances des patients de Vittorio. Écoutant ces cassettes à la recherche d’un potentiel meurtrier, patient jaloux, fou, tourmenté, avide de vengeance ou amoureuse frustrée, Eva découvre la noirceur de l’âme humaine. Derrière la plus banale des situations, un couple en crise, se cache un drame historique, celui des bébés enlevés à ces mères qui hantent désormais la place de Mai de leur révolte et leur chagrin. Quel poids portait alors chaque personne venue soulager son âme chez Vittorio ? Victime ou bourreau ? Qui est venu ce soir-là dans son appartement pour déguster un verre de vin avec sa femme, joliment apprêtée, pendant que lui-même fréquentait une salle de cinéma où personne ne semble l’avoir vu ? Avec qui s’est-elle disputée, poussant des cris que même la musique n’a pu couvrir ? Qui est celui qui l’a jetée par la fenêtre avant de s’enfuir sans que personne ne le croise ? Et qui était réellement Lisandra ? Jeune femme fragile terrorisée par un mari violent, femme fatale lorsque son corps se libère sur la piste de tango ou dans une chambre d’hôtel avec des inconnus, ou femme mystérieuse au passé trouble et troublant ? Après le succès de son premier roman, Le Confident (Folio, 2012), Hélène Grémillon renoue avec les secrets du passé et mêle habilement la petite histoire à la grande. Une Histoire encore une fois peu glorieuse, celle de la dictature militaire en Argentine et des exactions commises par la junte, enfants volés, tortures, meurtres… Les récits se croisent et se répondent comme autant de confessions qui pourraient résoudre bien plus qu’un simple fait divers. Un roman passionnant, une enquête foisonnante sur les multiples visages et masques que peut prendre l’âme humaine. Les apparences sont définitivement trompeuses.

Les autres chroniques du libraire