Wheeler Burden ouvre les yeux à Vienne en 1897. Un argument de départ on ne peut plus classique… sauf que Wheeler est une rock star des années 1970 ! Bien qu’un peu surpris – on le serait à moins ! –, le personnage ne semble pas plus ébranlé que ça. C’est que la capitale de l’empire austro-hongrois lui est familière. En effet, durant ses études, un enseignant mystérieux et charismatique a marqué sa vie : Haze. Ce dernier ayant lui-même fait ses études dans cette ville à la fin du xixe siècle, il en a tiré l’essence des cours qu’il a dispensés des années plus tard. Wheeler tente de comprendre pour quelles mystérieuses raisons il se retrouve là. Ses errances le conduisent à fréquenter les cafés et le mouvement de la Jeune Vienne. Il croise Mahler, Klimt, mais aussi un certain Freud, alors jeune praticien en proie au doute concernant les bases d’une nouvelle thérapie. On entre dans ce roman foisonnant, passionnant et jubilatoire comme dans un labyrinthe, avec l’aide d’un fil à remonter le temps et un mélange de crainte autant que d’excitation. Un pur bonheur !
Page — Quel sujet souhaitiez-vous aborder lorsque vous avez débuté l’écriture de ce roman ? Le voyage dans le temps, les liens familiaux, Vienne en 1897 ?
Selden Edwards — J’ai commencé à écrire ce roman en 1974 après avoir lu un livre sur la fin du XIXe siècle à Vienne, Wittgenstein’s Vienna (Allan Janik et Stephen Toulmin). Il parlait d’une époque fascinante de l’Histoire et j’ai tout de suite pensé que si je pouvais voyager dans le temps, je pourrais y trouver Hitler, enfant, et le tuer. Cela a constitué mon idée de départ : un thriller dont j’ai écrit une version de 250 pages que j’ai envoyée à des éditeurs. Le livre a été complètement rejeté. Certains ont même dit que c’était une idée stupide et que je devais laisser tomber.
Page — Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le fait que ce livre ait mis trente ans à être publié. Était-ce trente années de réécriture, d’améliorations, de recherches ? Quelle est la différence majeure entre la version originale et celle publiée aujourd’hui ?
S. E. — Après quatre ou cinq rejets, j’ai abandonné ce roman et l’ai laissé de côté. Mais quelques années plus tard, je l’ai ressorti et en ai écrit une nouvelle version. J’ai renforcé l’intrigue et rendu les personnages plus complexes. Je l’ai à nouveau envoyé. Même résultat. Cela m’a donc déprimé. Je l’ai à nouveau mis de côté. Quelques années plus tard, même scénario : réécriture, amélioration, envoi, rejet. Et ce pour six ou sept versions sur trente ans. Le roman a gagné en densité et en qualité. Le personnage de Freud, par exemple, n’est apparu qu’au bout d’une quinzaine d’années au sein de l’intrigue. Finalement, en 2007, à ma grande surprise, le miracle est survenu. Dutton, une prestigieuse maison d’édition américaine, l’a acheté pour une importante mise en place. J’ai été très surpris. Mon rêve devenait réalité. Le roman est sorti en 2008 (aux États-Unis) où il est devenu un best-seller.
Page — Pourquoi avoir choisi cette ville (Vienne) et cette époque ? Était-ce une simple préférence ou pensez-vous que c’est une période de transition importante pour le monde moderne, aussi bien dans le domaine des arts et de la philosophie, que de la politique ? Le lieu et l’endroit où est né le XXe siècle ?
S. E. — Après avoir lu Wittgenstein’s Vienna, j’ai approfondi avec de nombreux ouvrages sur cette ville fascinante et cette période de transition. Au fur et à mesure, c’est devenu un de mes sujets de prédilection. J’ai lu de nombreux livres sur cette époque, vu des expositions et découvert l’art, la musique, la littérature de la « Vienne 1900 », comme on l’a surnommée. J’ai aussi beaucoup lu sur Boston, la Seconde Guerre mondiale et des personnages de mon livre comme Freud ou Hitler. Au final, j’avais une bibliothèque d’une cinquantaine d’ouvrages constituant le matériau de base de mon histoire. Inutile de préciser que mon projet de tuer Hitler est passé, de version en version, à l’arrière-plan.
Page — À propos de ce roman, la presse vous a comparé à Irving, Bellow ou encore à Vonnegut. Est-ce que ces écrivains vous ont inspiré ? Est-ce gratifiant pour vous ?
S. E. — Pendant plusieurs années, j’ai occupé un emploi de professeur d’anglais, puis de directeur d’école. J’ai eu largement l’occasion de lire quantité de romans et j’ai, en effet, été influencé par beaucoup d’écrivains. Parmi eux, il y a Pat Conroy, John Irving et Kurt Vonnegut. Je considère Le Prince des marées de Conroy comme un sommet à atteindre ! J’ai aussi été influencé par des œuvres comme Huckleberry Finn ou Gatsby le magnifique, deux œuvres que j’ai dû faire étudier une quinzaine de fois par mes élèves. J’adore aider les étudiants à découvrir comment les grands écrivains sont devenus ce qu’ils sont. Cela m’aide aussi dans mon propre travail d’écriture, même si j’ai mis du temps à le comprendre.
Page — Dans ce livre, il y a un mystérieux personnage du nom de Haze. Durant votre scolarité, avez-vous rencontré un professeur du même genre ou est-ce la représentation du professeur idéal que vous auriez rêvé être ?
S. E. — Au départ, j’ai créé Haze, un vieux professeur qui a grandi à Vienne à la fin du XIXe siècle, car je voulais que mon personnage principal, Wheeler Burden, apprenne des choses sur cette ville et cette époque avant son voyage dans le temps. Mais au terme des multiples versions de mon manuscrit, Arnauld Esterhazy, « Haze », comme le surnomme ses élèves, a pris plus d’importance et est devenu un personnage central. Nombre d’écoles possèdent ce genre de vieil enseignant et plusieurs lecteurs m’ont écrit pour me demander si je connaissais tel ou tel professeur dans telle ou telle école. Il existe des professeurs extraordinaires et charismatiques, hommes ou femmes, qui ont eu un impact majeur sur leurs élèves. Haze est un mélange de tous ces pédagogues. Je pense que j’ai toujours essayé d’avoir cette influence sur mes élèves. J’espère que certains aujourd’hui pensent à moi lorsqu’ils lisent le portrait de ce personnage.
Page — Votre roman a eu beaucoup de succès aux États-Unis. Vous avez écrit un autre roman depuis (The Lost Prince), a-t-il un lien avec L’Incroyable Histoire de Wheeler Burden ?
S. E. — Peu de temps après avoir rencontré le succès avec L’Incroyable Histoire de Wheeler Burden, je me suis rendu compte que je voulais en faire une trilogie. L’intrigue de The Lost Prince se déroule durant la Première Guerre mondiale. On y suit Arnauld Esterhazy et Carl Jung est l’un des personnages principaux. Je travaille actuellement au troisième volet, qui aura pour cadre la Seconde Guerre mondiale. Le roman parlera du père de Wheeler Burden et aura pour protagonistes Winston Churchill et Joseph Campbell…