Littérature française

Sandrine Collette

Hurler avec les loups

Entretien par Aurélie Janssens

(Librairie Page et Plume, Limoges)

Autrice d'une dizaine de romans dont Et toujours les forêts (JC Lattès et Le Livre de Poche) prix du livre France Bleu/Page des libraires 2020, Sandrine Collette revient avec un roman, à la fois sombre et lumineux, qui ravira les habitués de son écriture et des thèmes qui la hantent, tout en surprenant et séduisant ceux qui la découvrent.

La nature tient une place importante. Mais ce n'est pas un paradis terrestre, luxuriant et accueillant : le monde sauvage y est très présent.

Sandrine Collette - C'est lié à la nature sombre du roman. Si j'écrivais une histoire d'amour, la Nature y serait peut-être plus sympathique avec des papillons et on y ferait des bouquets de fleurs. La nature contamine ce qui vit chez elle. Elle est dure et sauvage. On a souvent cette idée utopique de la « bonne » Nature. Il n'y a pas de bonne Nature : la première chose que l'on observe, ce sont des animaux qui en tuent d'autres pour manger. Les renards mangent les lapins, les hiboux chassent les mulots. Tout le monde crie. Et tout le monde meurt. C'est la réalité.

 

Une dimension écologique est présente dans ce livre. On sent l'envie de sensibiliser à la préservation du vivant et l'importance de maintenir un lien entre l'Homme et la Nature.

S. C. - Dans ce roman, la manière dont Liam observe les conséquences des gens sur la Nature est très pragmatique. Il constate qu'il faut aller de plus en plus loin pour trouver du gibier, les orages sont plus nombreux qu'avant. C'est un sujet qui me préoccupe, même si c'était encore plus visible dans Et toujours les forêts. L’important est de surtout montrer qu'il ne faut pas oublier d'où l'on vient. L'Homme fait partie de la Nature, c'est un grand singe comme un autre.

 

Du côté des Hommes, on constate une grande difficulté à communiquer entre eux, à créer du lien, même au sein de la structure familiale.

S. C. - En effet, même si nous avons toujours plus de moyens de communication, nous n'avons jamais aussi peu communiqué. Avoir une conversation virtuelle, c'est mieux que rien, mais ça ne remplace pas les dîners ensemble où il y avait de véritables échanges qui n'étaient pas interrompus par des textos. L'idée n'est pas de dire que c'était mieux avant. Je fais partie d'une génération qui a connu les deux systèmes mais ces conversations liées à l'enfance, aux grands-parents me manquent. Je pense qu'il faut laisser des traces de cette manière de vivre.

 

Malgré des thèmes sombres et une ambiance parfois crépusculaire, on note l'importance de garder une lumière, un espoir.

S. C. - Cela vient de mon changement d'éditeur. Dans mes premiers romans, on me disait « tu fais du thriller ». J'ai pris ça au pied de la lettre, j'ai fait du noir bien noir. Tout le monde mourrait. Mon éditrice d'alors m'a demandée de faire plus léger. J'ai ainsi écrit un roman dans lequel la famille avait plein d'enfants, en lui disant : « comme ça, s'il y a des morts, il en restera bien un ou deux ». C'était ma notion de la lumière ! Mais de livres en livres, je progresse et le passage en littérature « blanche » m'a permis de m'éloigner de cette étiquette du noir.

 

Le mystère est omniprésent dans ce roman. Les lieux ne sont pas nommés, les personnages à peine et ils sont souvent réduits à une fonction, un peu comme dans les contes.

S. C. - On ne sait pas où se déroule l'action. Le cadre pourrait être les Appalaches, les monts Ozarks ou encore l'Alaska en été. L'idée est de dépouiller le superflu pour aller vers l'essentiel : ce père qui ne veut pas l'être. Je n'avais pas envie de perdre le lecteur dans des descriptions. La seule chose importante, c'est la vie intérieure de ce personnage qui ressent cette absence d'instinct paternel, ses émotions, sa colère, son désarroi.

 

La narration est construite autour de la voix de Liam qui est un personnage taiseux.

S. C. - J'ai commencé à écrire le roman à la troisième personne et au bout de quelques pages, je me suis rendu compte que ça ne fonctionnait pas. Je me suis demandée comment faire parler ce personnage taiseux. Et j'ai pensé qu'il fallait le faire en rentrant dans ses pensées. Elles ont une certaine finesse, mais c'est avant tout un chasseur-trappeur basique : on constate son incapacité à parler. Le fil de ses pensées n'est pas entièrement structuré, j'ai donc enlevé la ponctuation. Lorsque j'ai lu le texte à voix haute pour essayer, c'était décontenançant, mais j'avais trouvé exactement la voix de Liam.

 

À propos du livre
Liam est un jeune homme qui a choisi de vivre isolé dans la montagne, ses voisins sont à quelques heures de marche. Une vie faite de chasse et d'autosuffisance. Lors d'un séjour en ville, il rencontre Ava qui décide de vivre avec lui. Rapidement, elle ressent un désir d'enfant. Liam y est opposé, conscient que le lieu est trop hostile. Néanmoins, Ava donne naissance à un petit garçon, Aru. Quand le roman débute, Aru a 5ans, Liam s'est éloigné de la maison pour chasser les loups qui menaçaient ses bêtes. Lorsqu'il revient, Aru ne se précipite pas vers lui, c'est le silence, il sent qu'il s'est passé quelque chose. Commence alors un long voyage où les loups ne sont pas toujours les bêtes les plus sauvages.

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