Littérature étrangère

Darragh McKeon

Tout ce qui est solide se dissout dans l’air

✒ Aurélie Janssens

(Librairie Page et Plume, Limoges)

Une date : 26 avril 1986. Une journée, un « incident » pour certains, une catastrophe en réalité. Et un lieu : Tchernobyl. Cette tragédie est le point de départ du premier roman du jeune auteur irlandais Darragh McKeon, qui va au-delà d’un simple chapitre dans un livre d’Histoire contemporaine, pour s’intéresser aux hommes.

Ce 26 avril 1986, le réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, surchauffe au point de conduire à la fusion du cœur. Des hommes, dans la centrale, constatent sur leurs écrans de contrôle cette importante anomalie, mais ils n’ont pas été formés à y faire face. Ils ouvrent le manuel, à la recherche d’un code à entrer, d’une procédure à appliquer, d’un bouton sur lequel appuyer. Ils arrivent à la section traitant de ce sujet pour constater que toutes les pages ont été noircies. Le régime soviétique ne pouvait concevoir que ce fleuron de la science, de la technologie, puisse faillir. Rapidement des pompiers et des militaires sont dépêchés sur place pour éteindre l’immense incendie provoqué par l’explosion. Personne n’était préparé à cet événement et c’est en bras de chemise qu’ils tentent de noyer le brasier ardent, sans savoir que les particules qui flottent autour d’eux sont hautement radioactives. Petit à petit, tous sont pris de vomissements. Des médecins sont appelés sur les lieux pour gérer l’urgence sanitaire, dont Grigory Brovkin, un chirurgien de 36 ans connu pour son sens du devoir et sa probité. Sur place, il ne s’attend pas à découvrir un tel amateurisme : une seule boîte de cent comprimés d’iode pour une population de plusieurs milliers d’êtres humains. Personne n’a pensé à prévenir et déplacer la population qui continue de boire l’eau courante, manger les fruits et les légumes cultivés aux alentours. Lorsqu’enfin l’évacuation des civils s’effectue, des files rappelant les heures sombres de l’Histoire du xxe siècle, séparent ceux qui, après, un passage au dosimètre, sont déjà contaminés, de ceux qui le sont moins. Les premiers sont embarqués dans des hôpitaux où le personnel déserte peu à peu les lieux, effrayé par ces êtres se décomposant de l’intérieur. Parmi eux, une famille va être séparée. Le père Andrei se voit éloigné de sa femme Tanya et de ses deux enfants Artyom et Sofya, qui n’auront désormais qu’une obsession, d’hébergement de fortunes en foyer, le retrouver. On se rend compte, à travers ce roman, que les personnes ayant subi cette catastrophe de plein fouet étaient très peu au courant de ce qu’il se passait réellement. Les naissances de veaux à deux têtes et de nourrissons difformes les mois qui ont suivi l’explosion, faisaient partie pour beaucoup de légendes urbaines, le régime soviétique, via le KGB, faisant taire tous ceux qui essayaient de mettre en garde contre les dangers de la catastrophe. Cette chape de silence imposé fut tout aussi fatale que les particules qui se sont infiltrées partout sur des milliers de kilomètres, déréglant complètement la nature. Darragh McKeon nous amène à la rencontre de ceux qui ont vécu cette tragédie de l’intérieur. Ce premier roman a été salué par deux de ses plus illustres compatriotes, Colum McCann et Colm Toíbín. Doté d’un talent indéniable pour entrer au cœur de l’intime avec pudeur et poésie, ce jeune homme semble promis à une longue carrière littéraire.

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