Littérature étrangère

Andreï Kourkov

À bon entendeur

L'entretien par Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

Un nouveau roman d'Andreï Kourkov, cet écrivain ukrainien toujours d'une grande lucidité sur la situation de son pays et qui manie avec un équilibre subtil l'humour et l'imagination, est synonyme de grand plaisir de lecture. Mais depuis février 2022, chacun de ses écrits revêt un écho tout particulier. Un roman historique, se situant en 1919 au moment où les Russes bolcheviques envahissent l'Ukraine, résonne forcément différemment !

Vous expliquez dans la préface de votre ouvrage la manière originale dont vous avez eu connaissance des éléments de votre roman.

Andreï Kourkov - Tout a commencé avec un appel téléphonique il y a quatre ou cinq ans. Une lectrice m'a appelé pour me dire qu'elle avait un cadeau pour moi et qu'elle voulait me l'apporter directement, en voiture, chez moi. J'ai été intrigué, je lui ai donné mon adresse et une heure plus tard, elle est arrivée. Elle m'a remis une boîte en carton contenant des dossiers originaux de la police politique bolchevique (VchK ou Tchéka en français) de 1919 à 1920. Des documents authentiques, écrits à la main, des protocoles d'interrogatoire, des jugements, des photographies de personnes qui avaient été arrêtées. Tous les cas concernaient des événements qui s'étaient déroulés à Kyiv ou aux alentours. Elle m'a dit que son père était officier du KGB et qu'il avait ensuite servi dans les services secrets ukrainiens. Après la mort de ce dernier, elle s'est souvenue qu'il avait pour projet d'écrire un livre documentaire à partir de ces dossiers mais qu'il ne l'a jamais fait. Elle m'a confiée qu'elle serait heureuse si je pouvais les utiliser dans mes livres. Ce fut le point de départ de ce roman.

 

Vous auriez pu vous aussi écrire un documentaire sur cette époque à partir de ces archives. Pourquoi avoir plutôt choisi le genre du policier historique pour raconter cette histoire ?

A. K. - Je voulais raconter la vie à Kyiv durant ces années de guerre civile. À partir de différents documents et archives, j'ai pu apprendre de nombreux détails sur la vie quotidienne à cette époque. Puis je me suis dit que si j’ajoutais une intrigue policière à ce matériau historique, le livre pourrait intéresser encore plus de lecteurs.

 

Dans chacun de vos romans, il y a un élément étrange ou improbable, ici l'oreille de Samson qui continue d'entendre alors qu'elle a été coupée par un soldat cosaque. On sent le plaisir presque enfantin, comme dans les contes, à introduire ce genre d'étrangeté. Pourquoi ce choix ?

A. K. - J'aime quand la vie, dans un livre, dépasse la réalité. Mais je m'assure toujours que cela ne va pas trop au-delà d'une certaine limite. Il y a souvent des histoires médicales dans mes romans. C'est sûrement parce que ma grand-mère et ma mère étaient doctoresses et que j'ai grandi parmi les livres de médecine et de chirurgie.

 

Kyiv, en 1919, c'est un sacré chaos, tout le monde veut s'en emparer, chacun veut faire sa révolution. On ne peut s'empêcher de vous demander si 100 ans plus tard, vous n'avez pas l'impression d'une histoire qui se répète ou qui ne s'est pas achevée ?

A. K. - En réalité, l'Histoire se répète elle-même. Se répète toujours. En 1918, les Russes bolcheviques ont attaqué Kyiv du même côté que l'armée de Poutine aujourd'hui, au nord-ouest. Les bolcheviques ont montré la même cruauté envers les civils ukrainiens que les soldats de Poutine à Boutcha ou Hostomel. En 1918, l'Ukraine a déclaré son indépendance et la Russie s'est battue contre l'armée ukrainienne pendant quatre ans. Ils ont réussi à conquérir l'Ukraine à la quatrième tentative. Une grande partie de l'Ukraine a alors été absorbée par l'Union soviétique. J'espère que ce ne sera pas le cas cette fois-ci.

 

À la fin de votre livre, vous écrivez « Fin, mais la suite est à venir ». Peut-on envisager le début d'une série policière avec un héros récurrent ?

A. K. - Tout à fait ! Le deuxième volet des aventures de Samson et Nadejda a déjà été publié en Ukraine. J'avais commencé à écrire le troisième tome avant le début de la guerre en Ukraine mais j'ai dû en arrêter l'écriture pour l'instant.

 

Kyiv, 1919. Après plusieurs années de troubles, l'Ukraine déclare son indépendance, ce qui n'est pas du goût des russes bolcheviques qui veulent s'en emparer. C'est dans ce chaos politique que Samson voit son père se faire tuer sous ses yeux par un Cosaque qui lui coupe aussi l'oreille. Il aura le réflexe de fuir en emportant son oreille coupée. Seul désormais, il doit se débrouiller par lui-même. Son appartement est réquisitionné pour y loger deux soldats de l'Armée rouge dont il se méfie car il découvre que son oreille coupée, rangée dans une boîte où ils dorment, peut entendre tout ce qu'ils manigancent. Enrôlé dans la milice, on lui demande de lutter contre le vol et le gaspillage. Les premiers suspects ne seront pas difficiles à trouver puisque les soldats qui logent chez lui rapportent régulièrement de nombreux objets. D'où proviennent-ils, à qui sont-ils destinés ? Dans son enquête, Samson pourra compter sur le soutien de la jeune Nadejda, employée du bureau des statistiques et bolchevique zélée, qu'il a rencontrée grâce à sa concierge.