Gil est un écrivain vieillissant qui a rencontré le succès par le passé avec un ouvrage sulfureux. Alors qu’il consulte des ouvrages d’occasion – sa passion – au premier étage de la librairie, il tombe sur une lettre glissée dans ces pages. Au même moment, il croit voir la silhouette de sa femme par la fenêtre, dans la rue. Or Ingrid a disparu des années auparavant. Il se précipite dans la rue et chute. Ses deux filles, Nan et Flora, l’aident à revenir chez lui pour sa convalescence. Deux sœurs aux caractères bien distincts et possédant chacune une interprétation sur la disparition de leur mère. Au fur et à mesure du roman, surgit la voix de l’absente à travers des lettres qu’elle a cachées dans les innombrables livres qui peuplent la maison. Dans ces lettres, elle y raconte l’histoire de ce mariage dont elle ne voulait pas vraiment et dans lequel elle s’est vite sentie prisonnière. Le roman de Claire Fuller est une exploration juste, lucide et pourtant délicate du mariage, du sentiment amoureux, du rôle de mère, entre petites joies et grandes désillusions.
PAGE — Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de ce roman ? Est-ce l’envie d’écrire sur un sujet en particulier ? Un personnage ? Ou la forme du roman (avec plusieurs points de vue, plusieurs voix : Gil, Flora, les lettres d’Ingrid) ?
Claire Fuller — Au tout début, j’avais seulement l’image de ce personnage, Gil, marchant sur la plage et regardant toutes ces choses étranges qui ont été rejetées par la mer. En général, je commence avec un personnage et un lieu et je vois ce qui se passe. Dans Un mariage anglais, j’ai d’abord imaginé le retour de Gil chez lui, dans cette maison pleine de livres. Après avoir rédigé environ 20 000 mots avec Gil en tant que narrateur, je me suis rendu compte que je ne l’aimais pas vraiment. J’ai donc retravaillé mon texte pour ne faire apparaître sa voix que dans le prologue. J’ai ensuite rédigé les lettres d’Ingrid et les passages sur Flora.
P. — Vos deux romans (Les Jours infinis et Un mariage anglais) abordent le fait de disparaître, de manière volontaire ou non. Qu’est-ce qui vous fascine, vous obsède dans la disparition ? Est-ce plus qu’un ressort dramatique ?
C. F. — Je n’avais vraiment pas l’intention d’écrire sur ce sujet pour ces deux livres, bien que ce soit intéressant. Quand j’ai fini Les Jours infinis, quelqu’un m’a dit qu’il aurait aimé connaître la vie d’Ute, l’épouse et mère, après la disparition de son mari et de sa fille. Le premier roman était plutôt sur les disparus alors qu’Un mariage anglais est sur ceux qui sont restés et comment ils font face (ou non) à la disparition.
P. — Vos livres parlent aussi des secrets de famille. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce sujet : le fait que l’on ne connaisse jamais vraiment les gens dont nous sommes le plus proche ? Est-ce que cette part de mystère est rassurante ou perturbante ?
C. F. — Oui, ils parlent tous les deux des secrets de famille. Qu’est-ce qui est plus intéressant qu’une famille qui cache des choses ? Je trouve qu’il est fascinant de se dire que, quel que soit le degré de relation que nous avons avec quelqu’un, nous ne le connaissons jamais vraiment. Si on garde cette idée en tête, cela peut faire qu’une vieille relation reste fraîche et surprenante. On peut toujours découvrir de nouvelles choses sur un époux, un parent ou encore un enfant, même si on les connaît depuis des années. Bien entendu, ce que l’on découvre n’est pas toujours plaisant et peut parfois choquer.
P. — De quel personnage vous sentez-vous le plus proche ? Gil, l’auteur ? Ingrid, la mère ? Flora, la fille indisciplinée ou Nan, la fille sage ?
C. F. — Je les aime tous un petit peu, même ceux que j’aime détester ! Aucun n’est inspiré de personnes réelles, ils ont donc tous une part de moi en chacun d’eux, même si je pense qu’Ingrid est celle dont je me soucie le plus. Elle est tellement naïve au début du livre ! Elle pense qu’elle passera simplement un été avec Gil avant d’être balayée de sa vie. Mais elle se retrouve coincée. Même lorsque les lecteurs (y compris moi) lui crient de partir, de le quitter, elle reste persuadée que ce n’est pas possible. Elle pense même que ses enfants seront mieux sans elle. Son histoire est vraiment triste.
P. — Comment avez-vous choisi les livres dans lesquels Ingrid cache ses lettres ? Sont-ils importants, symboliques pour l’histoire, des indices pour comprendre ce qu’il se passe ?
C. F. — Les titres de ces livres sont tous le reflet de ce que les lettres contiennent, en quelque sorte. Je dois avouer que je n’ai pas lu tous les livres cités car certains sont sur les couvre-lits en crochet et cela ne m’intéresse pas vraiment ! Cependant, la plupart sont des livres que j’adore, par exemple Nous avons toujours vécu au château de Shirley Jackson ou encore Who was changed and who was dead de Barbara Comyns (non traduit en français). Lorsque j’ai commencé à écrire la dernière lettre d’Ingrid, j’avais besoin qu’elle la cache quelque part et, comme elle était dans une pièce pleine de livres, j’ai eu l’idée de la cacher dans l’un d’eux. Le titre qui m’est venu à ce moment-là était celui de Barbara Comyns. J’ai pensé qu’il correspondait parfaitement au contenu de la lettre. C’est à partir de là que j’ai décidé qu’Ingrid devrait choisir les livres où elle cacherait ses lettres en fonction de leur contenu.
P. — Pendant la lecture de votre livre, j’écoutais la musique du film The Hours. C’est une musique mélancolique qui correspond bien à l’ambiance du roman. Il m’a aussi fait penser à des romans de Richard Yates ou encore Graham Swift. Est-ce que vous vous êtes inspirés de livres, de films ou de morceaux de musique pour l’écrire ?
C. F. — J’écoute toujours de la musique quand j’écris. La bande-son de l’écriture d’Un mariage anglais fut la musique de Townes van Zandt. J’ai écouté ses morceaux de country un peu tristes pendant deux ans. Pendant l’écriture, j’ai aussi beaucoup écouté une chanson en particulier : « Lakes of Canada » de The Innocence Mission. J’y fais d’ailleurs référence dans le livre, dans la lettre que Gil a envoyée à Ingrid. Je suis très flattée que mon roman vous fasse penser à ceux de Richard Yates et Graham Swift, ce sont deux auteurs que j’adore. Je ne pense pas qu’un film en particulier m’ait influencée dans l’écriture de ce livre, même si j’en ai vu quelques-uns. En revanche, je lis beaucoup, même quand j’écris, que ce soit des romans, des essais ou des ouvrages pour des recherches. Quelques livres m’ont inspirée pour Un mariage anglais. Il s’agit de La Mer, la mer d’Iris Murdoch, Waterlog de Roger Deakin (non traduit en français) ou encore L’Éveil de Kate Chopin.