Littérature étrangère

Jon McGregor

Même les chiens

illustration

Chronique de Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

Après Fenêtres sur rue et Il n’y a pas de faux départ, tous deux sélectionnés par le Man Booker Prize, Jon McGregor revient avec un roman à la fois sombre et brillant, largement salué par la critique anglo-saxonne.

Le roman s’ouvre sur la découverte d’un corps, celui de Robert, retrouvé mort dans son appartement peu après Noël. Un mort parmi tant d’autres. Une mort d’autant moins « importante » que Robert n’était qu’un marginal alcoolique, un homme brisé, un fantôme aux yeux de la société. Mais Jon McGregor ne veut pas que cet événement reste invisible. Il veut donner à voir, à entendre ces êtres qui n’ont plus droit à la parole. À travers les cinq chapitres qui composent le livre, on va découvrir que Robert n’était pas complètement seul. Il hébergeait chez lui d’autres marginaux, toxicos, paumés : Danny, Ant, Heather, Laura, Mike, Steve… Chacun à son tour va raconter l’histoire de Robert, quitté par sa femme et sa fille, sombrant lentement dans l’alcool, mais aussi leurs propres histoires, le moment où ils ont dérapé, pris leur premier shoot, et depuis, l’attente de la prochaine dose, le manque, la mendicité, les centres, les groupes de parole, la solitude ; et parfois aussi la solidarité et l’espoir. L’auteur montre ce qui est unique en chacun de nous, ce qui distingue chaque parcours, pour dire que les paumés dont il fait le portrait sont des êtres humains comme vous et moi, avec leurs sentiments et leurs faiblesses, mais aussi leurs petits bonheurs. Il ne sépare d’ailleurs pas le lecteur de ses personnages, commençant souvent ses phrases par « nous », nous amenant à rencontrer ceux qu’habituellement on croise sans se retourner, à les écouter sans les juger, éprouvant même pour la plupart de la sympathie, voire de l’empathie. L’écriture est d’une maîtrise exceptionnelle, très visuelle, presque scénaristique, moderne, chaque personnage, chaque récit possédant son rythme, son style, son phrasé balbutiant, elliptique, erratique. Si ce roman peut paraître exigeant aux yeux de certains, il vaut réellement le coup de s’accrocher. C’est l’occasion de découvrir un écrivain qui, selon Colum McCann, « laissera une empreinte considérable dans la littérature mondiale. »

Les autres chroniques du libraire