Littérature française

Tatiana de Rosnay

Manderley forever

illustration

Chronique de Aurélie Janssens

Librairie Page et Plume (Limoges)

Chez les Du Maurier, il y a le grand-père George, dessinateur et auteur de Peter Ibbetson, puis le père, sir Gerald, auteur et acteur de théâtre, et enfin les filles Angela, Daphné et Jeanne. C’est à la plus célèbre des femmes de la famille que Tatiana de Rosnay consacre une biographie tout à fait fascinante.

Entre Tatiana et Daphné, c’est une longue histoire d’amour. En effet, c’est toute jeune fille que Tatiana se voit offrir un exemplaire de Rebecca. Dès lors, elle dévore tous les livres de cette auteure controversée, critiquée pour sa noirceur et ses soi-disant « piètres » qualités littéraires, et à qui l’on prête une ambition de « fabriquer du best-seller ». Cela n’empêche pas une Tatiana adolescente et loin de ces polémiques, de se rêver un destin et une carrière littéraire comme son auteure préférée. Lorsqu’il y a une dizaine d’années, Gérard de Cortanze lui propose pour Albin Michel (éditeur en France de l’œuvre de Du Maurier) de rédiger la biographie de celle qu’elle admire tant, Tatiana de Rosnay hésite. Puis, petit à petit, cela devient une évidence. Elle passe alors deux ans à rencontrer les enfants de Daphné, recueillir une somme incroyable de documents (interviews, journaux intimes, articles…) et se rendre sur les lieux qui ont marqué sa vie. Car ce sont les lieux qui jalonnent la biographie de Daphné, ces maisons dont elle tombe profondément amoureuse, elle le confesse, bien plus que n’importe quelle personne de son entourage. Menabilly fut l’un de ces lieux. Elle découvre ce manoir en ruine lors d’une promenade en Cornouailles aux environs de la maison d’été que sa famille a achetée. Malgré la décrépitude et l’isolement du lieu, elle est immédiatement obsédée par ce bâtiment et mettra tout en œuvre pour pouvoir y habiter un jour. Ce manoir la hante tellement qu’il inspire nombre de ses romans, notamment le plus célèbre, Rebecca. Lieu de tension, cœur d’un drame sans nom dans ce roman noir à tendance gothique, il est plutôt une source de bien-être et de créativité dans la vie de Daphné. Celle qui ne se voyait pas, enfant, faire autre chose qu’écrire, être libre et indépendante, restera, moyennant quelques concessions et moments de doutes, fidèle à ses rêves. Comme elle le fut à ses origines, qu’elle découvre françaises. Elle se rend souvent en France pour y apprendre la langue, mais aussi pour mener des recherches sur son histoire familiale. Cette double origine, que Tatiana de Rosnay, née de père français et de mère britannique, partage avec elle, ne l’empêchera cependant pas de laisser traduire en France ses premiers romans de manière imparfaite (la traductrice de l’époque ayant pris quelques latitudes avec la version originale). C’est donc dans le souci de rendre à nouveau honneur aux textes de Daphné Du Maurier qu’Albin Michel entreprend de retraduire ses œuvres. C’est ici le cas avec Rebecca, le chef-d’œuvre qui marqua à tout jamais la vie de Daphné. Aucune excuse aujourd’hui pour ne pas se plonger dans ce roman mythique et découvrir la vie de son auteure emblématique, loin des clichés qui ont pu circuler à son sujet. Une femme brillante, libre, drôle, forte et rêveuse, qui a su garder dans son regard la fraîcheur de son âme d’enfant.

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