Littérature étrangère

Edna O'Brien

Country Girls

✒ Linda Pommereul

(Librairie Doucet, Le Mans)

D’une prose simple et limpide, la romancière Edna O’Brien, dans sa trilogie Country Girls, nous raconte deux vies de femmes à l’aune de leur génération. Et même si son livre n’est pas un brûlot féministe, il ne nous parle que d’une seule fille de la campagne, elle-même.

Née en 1930, la grande romancière irlandaise Edna O’Brien nous a quittés. Son œuvre abondante est l’une des plus audacieuses de sa génération. Une auteure qui refusera les conventions, obstinément, ardemment, qui proposera le désordre et se servira de l’écriture pour bousculer la société. Libérer les mots pour lutter contre une réalité écrasante. Revendiquer par la littérature. En trois volets, Country Girls rassemble Les Filles de la campagne, Seule et La Félicité conjugale, romans parus de 1960 à 1964. Ce récit largement autobiographique, où deux jeunes Irlandaises, Baba et Kate, sont en réalité des doubles littéraires de l’auteure, explore des thématiques récurrentes et essentielles de son œuvre : l’écriture, l’amour, l’Irlande, la vie tout simplement. L’histoire commence dans un petit village à l’ouest de l’Irlande dans les années 1950. Sur la couverture de cette nouvelle édition, deux visages, des regards qui pétillent pour nous dire « nous sommes là ». Un sourire aux lèvres qui incarne la toute-puissance de la jeunesse. Pourtant l’histoire est autre car, dans l’Irlande catholique et conservatrice de l’époque, Kate et Baba étouffent devant l’hypocrisie et les préjugés. Edna O’Brien décrit à la perfection cette enfance rurale, cette communauté étriquée et pudibonde. Alors, quand Kate obtient une bourse pour aller étudier dans un couvent, Baba décide de la suivre. Mais à force d’indiscipline, elles se font renvoyer. L’aventure se poursuit à Dublin, ville de toutes les promesses. C’est l’éveil à la sexualité et à l’audace de ces deux jeunes filles qui provoque le scandale à la parution du livre. Il est même censuré dans son pays d’origine. Elles fréquentent les pubs, s’autorisent des aventures sans lendemain qui provoquent désillusions car chacune rêve d’un amour de prince charmant et de sécurité, malgré ce qu’elles revendiquent ou laissent penser. L’amour reste la pierre angulaire de ce récit. Les filles de la campagne ont grandi. Elles ont fait ce qu’elles ont pu pour échapper à leur destin. Mais, au final, cette félicité qu’elles espèrent est hors d’atteinte. Il est si difficile de ne pas avoir peur de la solitude et de se réaliser, ce que la romancière réussira. Edna O’Brien a défié sa mère, son pays et sa religion pour raconter ces histoires, ces vies de femmes prêtes à tout pour célébrer leur liberté. Et même si aujourd’hui, et selon nos normes, cette écriture peut sembler chaste, nous ne devons pas oublier ce que ce texte représente ni qu’il garde tout son mordant car il incarne la vérité de la condition féminine à une époque pas si lointaine.

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