Littérature étrangère

Sadie Jones

Les Petites Guerres

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Chronique de Linda Pommereul

Librairie Doucet (Le Mans)

Sadie Jones a ce talent de provoquer les émotions. Après la noirceur des drames familiaux dans Le Proscrit, elle happe à nouveau le lecteur dans ce nouveau roman, entre recherche d’idéal et violence des conflits armés.

À l’époque où elle écrit Le Proscrit, Sadie Jones est scénariste de longs métrages. Publié en 2008, le roman remporte le Costa First Novel Award, équivalent de notre Renaudot. Ce qui nous avait frappés d’abord était la finesse de l’écriture, sa poésie sombre et belle : Lewis, qui entretient une relation fusionnelle avec sa mère, voit celle-ci se noyer sous ses yeux. De cette tragédie jaillit un traumatisme fait de mutisme et de violence. Dans Les Petites Guerres, Sadie Jones nous entraîne dans un univers violent et ténébreux, qui dissèque la barbarie des conflits armés. Le récit démarre en 1956, peu avant l’affaire du canal de Suez, quand Chypre lutte pour son indépendance contre un Empire britannique sur le déclin. Hal Trahene, jeune major, est dépêché sur l’île afin de commander une unité. Le conflit, qui oppose les forces coloniales et les rebelles locaux, est dévastateur pour le pays. Hal, sa femme et leurs filles, arrivent dans un endroit plongé dans le chaos, très loin des images ensoleillées de la Méditerranée. Ils n’ont jamais connu la guerre. Ils sont une incarnation du bonheur et de la sérénité. Rien ne les avait préparés à rencontrer une telle barbarie. Le choc est violent. Le conflit grandit, l’insécurité règne et l’armée anglaise n’est plus capable de les protéger. De plus, Hal, peu familier d’une telle horreur, se renferme peu à peu sur lui-même jusqu’à délaisser sa famille. Il n’arrive plus à gérer et à digérer les actes terroristes, la répression et les exactions commises à l’intérieur de chaque camp. Sa propre barbarie lui fait horreur. Peu à peu, l’incompréhension et le sentiment d’être abandonnés s’immiscent dans le couple. Sadie Jones est une virtuose pour mettre en scène les fragilités de nos existences. On observe le désarroi grandissant de Clara, seule, démunie en terre inconnue et dans un milieu hostile. L’auteur montre également la perte de repères qui s’empare de Hal, major ambitieux à la recherche d’un idéal et qui ne comprend plus la barbarie de ses contemporains. De grandes en petites guerres, Sadie Jones sème par touches légères les échos d’un combat perdu d’avance.

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