Essais

Peter Heather

Rome et les barbares

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Chronique de Jérémie Banel

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De la grande peur venue de Grèce des Amazones aux destructions, bien réelles celles-ci, causées par l’éruption du Vésuve, jusqu’à la chute, en forme de lente agonie de l’Empire, en passant par le sens social, politique et intime des Larmes de Rome, nos ancêtres les Romains ont encore beaucoup à nous dire !

Aux marges de l’extension maximale de Rome, du côté du Pont Euxin grec, et dans les mythes et légendes de l’Antiquité, elles occupent une place de choix : les Amazones. Elles sont l’objet du livre d’Adrienne Mayor qui offre un nouvel éclairage sur la question, interrogeant notre propre regard sur les sociétés antiques, grâce, entre autres, aux dernières découvertes de l’archéologie. Elle démontre ainsi que les Amazones ne furent pas seulement un sujet mythologique, comme dans le Roman d’Alexandre, ou encore de fascination, à la fois guerrière et sexuelle, mais simplement, pourrait-on dire, des combattantes issues de peuples plus égalitaires que les Grecs ou les Romains, au point que ceux-ci ne pouvaient pas ou difficilement en appréhender la réalité. Un point de vue que confirment ses travaux archéologiques basés sur l’ADN, mettant à mal l’identification qui prévalait jusque-là : un corps enterré avec des armes n’est pas forcément celui d’un homme. Dans les régions des grandes steppes d’Asie centrale, environ un tiers des tombes de guerriers se révèlent être des tombes de guerrières ! Le contrôle des armes et de la force militaire n’a donc, d’après elle, pas toujours été l’apanage des hommes, une leçon qui dépasse le cadre strict de l’existence des Amazones d’Hérodote. Entre autres choses, la division des genres se retrouve également dans le livre de Sarah Rey, intelligemment sous-titré « Le pouvoir de pleurer dans l’Antiquité ». Il s’agit en effet d’un pouvoir, en ce sens que selon la forme que prennent ces pleurs, ils ne sont pas permis pour tous et toutes, et ne recèlent pas les mêmes sens et interprétations. Un sujet original qui nous permet de plonger dans la psychologie du corps social romain, à travers une étude lexicale fine et détaillée d’un vaste corpus de textes et d’œuvres d’art. Manifestation plus que visible de l’émotion, signe tangible d’un trouble extrême, mais aussi potentiellement feintes, les larmes étaient ainsi un sujet politique et il était nécessaire à chacun de « savoir » correctement pleurer, en fonction de son sexe, de son âge ou encore de son rang. Un livre stimulant qui, une fois passé la surprise et l’originalité du sujet, suscite chez le lecteur une réflexion plus générale : les choses sont-elles si différentes de nos jours ? Sur les traces des textes anciens, avec en particulier Pline le Jeune, dont l’oncle, Pline l’ancien, perdit la vie en voulant observer de plus près l’éruption du Vésuve, Alberto Angela nous transporte à Pompéi, pour y vivre les derniers jours de la cité avant que le volcan ne crache ses tonnes de lave et de cendres. Il nous avait déjà fait voyager en suivant une pièce d’un sesterce dans toute l’Europe avec Empire (Payot), et son talent de conteur est saisissant une nouvelle fois. Passant d’un personnage à l’autre, c’est toute la vie d’une ville romaine du Ier siècle avant J.-C. qui se déroule sous nos yeux, avec ses ambiances, ses parfums, mais aussi ses intrigues. L’issue finale reste bien évidemment en toile de fond, tout comme la baie de Naples, mais c’est surtout la vie quotidienne que l’on découvre avec plaisir et curiosité, et la lecture va de surprises en surprises. L’immersion est totale et explore, même virtuellement, ces destins brisés que tous ceux qui ont pu un jour visiter Pompéi connaissent, figés pour l’éternité. Pour finir, la question toujours centrale de la chute de Rome, souvent reflet des préoccupations de ceux qui en écrivent l’Histoire, et qui redoutent soit la décadence, soit l’envahisseur à nos portes. Pas de ça avec le titre de Peter Heather, enfin traduit en français, qui compose une somme complète sur la question, mêlant approche culturelle, militaire, économique et sociale. La prétendue « chute » de Rome y est ainsi recontextualisée et apparaît non comme la fin d’un monde, mais comme une étape parmi d’autres, au cœur de la transition qui s’opère à l’époque. Cette fresque – faisant la part belle aux Barbares qui construiront les royaumes des débuts du Moyen Âge grâce à l’héritage de Rome – remet ainsi au centre une histoire longue, insistant au moins autant sur les continuités que sur les ruptures, et privilégiant la complexité des faits et des rapports de causalité, inévitable pour traiter 500 ans d’Histoire, et un Empire s’étendant des rives de la Méditerranée au Nord de l’Europe.

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