Essais

Jean-Paul Demoule

Homo migrans

illustration

Chronique de Jérémie Banel

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L’histoire de l’humanité relue à travers le prisme des migrations, contre les identités nationales ou ethniques fixes et prétendument pluriséculaires, par un grand archéologue et préhistorien : le temps long comme réponse au tumulte de notre époque.

La dramatique actualité de la guerre en Ukraine et ses millions de déplacés en offrent une cruelle illustration : la migration est consubstantielle à l’humanité. De la (des) sortie(s) d’Afrique aux crises modernes, c’est justement par les déplacements sur la surface du globe que notre espèce occupe la position qui est la sienne. C’est cette grande histoire que Jean-Paul Demoule raconte dans cette somme claire et précise. Les grands récits globaux de notre histoire universelle ne manquent pas en ce moment, celui-ci se démarque par son approche originale. Son approche chronologique en grands chapitres et son talent pour la synthèse permettent d’appréhender sans difficultés les grands mouvements de population qui ont jalonné notre Histoire. C’est ainsi une nouvelle vision qui défile sous les yeux du lecteur, changeant par-là même sa perception du présent. Ainsi, il s’attache à démontrer que, loin de nos angoisses contemporaines, les sociétés sont le fruit perpétuel d’apports extérieurs et se recomposent en continu autour de ces mouvements. Il n’est évidemment pas question ici de proposer une lecture naïve, simplement de décrire comment cette hybridation est constitutive. Sans faire mystère des problèmes que ces déplacements ont pu poser ou des drames qui en furent à l’origine, l’auteur donne à lire une Histoire différente, détachée autant que possible des cadres étatiques ou identitaires trop stricts, spécialement pour l’histoire la plus ancienne. Il attache un soin particulier à décrypter les dynamiques profondes à l’œuvre (guerres mais aussi innovations technologiques ou encore développement du commerce). Mêlant archéologie, Histoire, anthropologie et politique, sa grande fresque éclaire d’un jour nouveau certains événements connus tels que la chute de l’Empire romain ou les prétendues invasions barbares. En grand vulgarisateur, c’est le meilleur de l’actualité de la recherche que synthétise ici Jean-Paul Demoule pour rendre accessible et lisible pour le plus grand nombre les découvertes les plus récentes face aux vieilles lubies et idées fausses qui dominent encore trop souvent les débats. Un livre d’Histoire donc, mais aussi un livre éminemment politique pour contrer les peurs et légendes noires de l’Autre, toujours prêt selon certains à détruire nos si beaux et purs pays et traditions. Subie ou choisie, la migration est un fait social et historique, un moteur de l’évolution parfois, une occasion de rencontrer souvent et rarement un péril mortel pour les sociétés.

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