Essais

Impérialisme, prédations, conquête

Previous Next

Par Jérémie Banel

Qu’elle soit économique, sociale, politique ou encore guerrière, la volonté de puissance et de domination constitue un moteur puissant de l’Histoire. Pour le pire souvent et plus rarement le meilleur, selon les points de vue.

C’est une Histoire pleine de bruit et de fureur, mais aussi de complots, d’espions et de coups fourrés que fait défiler William Dalrymple. C’est aussi une Histoire qui parle à notre époque, à l’heure des interrogations sur la puissance des grands groupes privés qui supplantent les États : celle de l’East India Company ou comment une institution à but commercial a pu, au XIXe siècle, dans un même mouvement ébranler un empire (celui des Moghols) et instituer une forme d’État au service de l’économie. Dans une période de concurrence accrue, cette conquête à nulle autre pareille a été la tête de pont de la présence anglaise en Inde. Ce qui aboutira à sa colonisation et à une mise en coupe réglée d’un sous-continent entier, au profit de quelques-uns, prompts à considérer « l’autre » et ses biens comme quantité négligeable, voire comme ressource plutôt que sujet. Un écart que l’on retrouve au cœur du livre d’Olivier Grenouilleau qui explore, nombreuses sources à l’appui, les relations complexe entre christianisme et esclavage. Il tente ainsi d’éclairer comment, à rebours d’un message d’amour du prochain, l'esclavage a été toléré et même encouragé au fil des siècles, à l’aide de la théologie autant que de la philosophie. Le travail sur les sources antiques et médiévales est sur ce plan impressionnant. Il éclaire aussi les résistances intellectuelles et les combats contemporains à l’aune de la religion, dans une relation au final plus compliquée et riche qu’il n’y paraît. C’est là un point qu’il partage avec un des livres les plus ambitieux de cette rentrée : Les Mondes de l’esclavage. Dans la lignée des grands projets historiques collectifs récents, il est un tour de force historiographique par l’ampleur spatiale et temporelle de son analyse, et la diversité des contributions qui le composent. Il n’en fallait pas moins pour tenter de saisir un phénomène aux formes si diverses et, malheureusement, si présent au fil de l’Histoire. La force de ce livre est justement de mettre en lumière sa portée quasi systémique, tant il est loin de se limiter à certaines périodes précises et bien connues. Nombreuses sont les formes qu’il a pu prendre, en plus de la Traite négrière ou de l’esclavage antique, et ses résurgences (sous forme de travail forcé par exemple). Ainsi, il est encore un fléau moderne qu’il est utile d’inscrire dans cette grande Histoire. Avec l’espoir, un jour de le voir disparaître ?