Essais

Comme des bêtes

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✒ Jérémie Banel

Deux essais en forme d'enquête pour deux approches afin d'explorer notre rapport complexe aux animaux non-humains : philosophiques et sensibles d'un côté, journalistique en immersion de l'autre. Cause(rie)s animales et Carcasse balaient les mille et unes formes du spécisme et ses conséquences.

La question traverse toutes les mobilisations, tous les mouvements à la recherche d'une adhésion publique forte : comment susciter l'intérêt et, au-delà, comment donner envie d'agir. Ces deux livres représentent chacun d'entre eux une des réponses possibles et, de fait, se complètent à merveille. Carcasse, tout d'abord, aux accents gonzo, joue sur le registre des émotions, en donnant à voir au plus près le parcours d'un bout à l'autre de l'Europe des animaux destinés à nous nourrir, élevés ici, vendus ailleurs puis tués là pour leur viande ou leur lait. Dans la lignée du reste du catalogue des si innovantes éditions Marchialy, Émilie Fenaughty livre un récit à la première personne (entrecoupé de courts textes plus fictionnels, comme autant de respirations littéraires), dans la plus pure tradition du journalisme embarqué. Au plus près de son sujet, physiquement comme émotionnellement, elle glisse ses pas dans ceux des militants qui documentent inlassablement non seulement les maltraitances subies par les animaux, mais aussi les humains qui participent à cette économie, où l'indifférence à la souffrance et la recherche du profit produisent en retour mal-être et inhumanité. Sans jamais donner de leçons ou adopter une posture surplombante, consciente de ses propres limites face à un appétissant Irish breakfast bien carné, l'autrice raconte ce qu'on cache, ce qu'on ne veut pas voir. Et c'est déjà beaucoup. Cause(rie)s animales, de son côté, aborde le sujet avec un angle plus large, qui va de l'animal de compagnie aux animaux marins (qui, soyons honnêtes, suscitent toujours moins d'empathie qu'un panda roux) en passant par l'élevage ou les animaux de cirque pour questionner l'ensemble de nos interactions avec ceux-ci et mettre au jour ce qu'elles disent de nous. Conçu autour d'entretiens qui racontent chacun à leur façon un type de rapport, soit dit en passant toujours marqués par la domination (utilitaire, alimentaire, ludique, scientifique…), son livre fait réellement le tour de la question, en lui donnant tout à la fois son épaisseur historique et philosophique, y compris dans les aspects les plus inattendus. Et de ce fait, il interroge largement au-delà des évidences et d'une morale minimale qui consisterait simplement à ne pas nuire volontairement. C'est même là un de ses principaux apports : comment en est-on venus collectivement à considérer la « non maltraitance » comme satisfaisante ?