Littérature française

Emilienne Malfatto , Rafael Rodriguez Roa

L'absence est une femme aux cheveux noirs

✒ Jérémie Banel

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Exploratrice de formes diverses et sensibles pour dire la cruauté du monde, Emilienne Malfatto s'adjoint cette fois-ci le regard photographique de Rafael Roa pour raconter la dictature en Argentine.

Entre journalisme, récits et romans, l'autrice ‒ découverte à l’occasion de la parution de Que sur toi se lamente le Tigre ‒ compose une œuvre littéraire forte, portée par un humanisme sans frontières et un besoin de témoigner de l'horreur dont les Hommes sont capables. Dans L'absence est une femme aux cheveux noirs, elle tente de raconter ce qui, par définition, ne peut l'être : le trou béant laissé par les 30 000 disparus de la junte, au pouvoir en Argentine de 1976 à 1983. En multipliant les types de narration, mêlant formes poétiques, retranscriptions, réflexions personnelles ou encore témoignages en forme de souvenirs, elle tente d'approcher au plus près de cette terrible vérité, de ce qu'elle fait aux corps et aux âmes, aux individus comme à une société tout entière. En contrepoint, les photos de Rafael Roa, marquée par le flou et le trouble, le clair-obscur, donnent à voir, à travers une silhouette, un visage dans l'ombre ou des fauteuils vides : ces absents si présents. De cette histoire dont la majorité d'entre nous ne connaît que quelques instantanés, dont les Mères de la place de mai auxquelles des pages magnifiques sont consacrées, leur duo produit un kaléidoscope sensible, ouvert aux émotions, à la mémoire. Et en prise avec une histoire inquiétante et lancinante qui transparaît au fil des pages : l'ère des dictatures et de la violence d’extrême droite n'est pas, n'a jamais été tournée en Amérique du Sud, surtout pas en Argentine où règne depuis quelques mois « le fou aux yeux glacés, l’homme-venin ». Cette puissante ode au pouvoir des mots, des images et in fine du souvenir, même quand il n'y a plus rien d'autre, est aussi une alerte, en même temps qu'un rappel d'une vérité qui, elle, n'a pas de frontières : les forces obscures sont tenaces et jamais bien loin. Gardons en mémoire celles et ceux qui leur ont résisté, souvenons-nous de leur absence.

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