Essais

Sylvain Venayre , Pierre Singaravélou

L'Épicerie du monde

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Chronique de Jérémie Banel

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Après leur volumineux Magasin du monde (Fayard et Pluriel), Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre réunissent de nouveau une équipe pléthorique et variée, pour un tour du monde culinaire consacré à nos habitudes alimentaires, en plus de quatre-vingts entrées.

La formule est éculée mais n’en reste pas moins vrai pour autant ici. De tous temps et en tout lieux, les Hommes ont mangé. Et, aux quatre coins du globe, la satisfaction de ce besoin vital est devenue peu à peu affaire de culture et de transmission, allant jusqu’à incarner un pan important de notre identité. C’est au cœur de cette diversité que nous plonge cet ouvrage gourmand et curieux. En quelques pages, selon une formule éprouvée ces dernières années pour les livres d’Histoire, un historien brosse le portrait d’un aliment, d’un plat ou encore d’une sauce, tout en le reliant à l’Histoire générale. Leur circulation et leur hybridation au fil des années éclairent à leur façon l’histoire de la mondialisation, des migrations ou encore des colonisations. Un exemple parmi d’autres : le curry, associé à l’Inde mais star au Royaume-Uni et, plus surprenant pour nous, plat emblématique au Japon. Et l’on voit bien vite au fil des pages que même les plats les plus intouchables et iconiques des uns ou des autres ont souvent franchi un long chemin avant d’arriver là. Un long chemin géographique, puisque tel ou tel ingrédient vient en fait de l’autre bout du monde, mais aussi un long chemin gastronomique, tant sa recette ou son mode de consommation s’est peu à peu modifié, par choix ou par contraintes. De quoi relativiser notre attachement aux recettes figées, véritables et traditionnelles : le sacrilège ici sera la norme là-bas et inversement. C’est donc une histoire très intime et humaine, pleine de rebondissements et de trajets inattendus que l’on découvre à la poursuite du ketchup ou du Raki. Et que l’on lise le livre dans l’ordre des pages ou que l’on se laisse porter par les renvois d’un article à l’autre comme dans un buffet géant, les surprises ne manquent pas, grâce à un savant dosage entre aliments attendus, connus et d’autres bien moins connus en Occident. Une façon aussi de rappeler que dans une histoire mondiale et connectée, il n’y a pas de centre du Monde. Alliant à merveille la dimension globale de la lente apparition d’une mondialisation qui tend à uniformiser et éclairage sur les particularités et originalités locales, L’Épicerie du monde célèbre, in fine, l’incroyable inventivité humaine qui anime notre alimentation dont la dimension centrale est sûrement le partage, que ce soit autour de viande en conserve, de pizzas à l’ananas ou encore de nouilles lyophilisées.

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