Essais

François Dosse

La Saga des intellectuels français, t. 2

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Chronique de Jérémie Banel

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Une somme sans équivalent et incontournable sur la vie intellectuelle en France, qui creuse au plus près chacun des courants, chapelles et écoles qui se sont succédés et affrontés depuis 1945, ainsi que la vie et les actes de celles et ceux qui les ont animés.

Figure typiquement française « née » au moment de l’affaire Dreyfus, l’intellectuel est souvent au cœur des débats. Et son rôle, au cœur des débats, consiste souvent à déplorer sa disparition ou sa perte d’audience ! Les deux volumes de Francois Dosse, même s’ils abordent en creux ces questions, ne se situent pas exactement dans ce type de démarche. Il s’agit plutôt, sur un plan à la fois chronologique et thématique, d’un état des lieux des grands moments de la vie des idées, entre 1945 et 1989. Deux enseignements apparaissent grâce à ce bornage chronologique. Le premier, souhaité et revendiqué par l’auteur, apparaît pleinement à la lecture : ces années sont profondément marquées par l’opposition durable et systématique (bien que parfois surjouée) entre les deux blocs, et rares sont les mouvements complètements autonomes. Par ailleurs, bien que par définition cette période-là soit révolue, et que notre présent s’inscrive dans un contexte tout autre, il apparaît également à quel point cette vie des idées si riche et intense fonde encore notre époque, à quasiment plus de deux décennies de distance. Étrange paradoxe, comme si la fin de cette opposition binaire et d’apparence peu constructive avait finalement signé la fin des débats, au moment exact ou ceux-ci pouvaient s’émanciper de cadres de pensée plus stricts. Malgré tout, et preuve en est la longue liste des personnalités citées dans l’ouvrage, ou la diversité des champs et thèmes abordés, le débat est omniprésent, via revues et pétitions, et à quelques exceptions près, de très haute tenue. Le tour de force de François Dosse n’en est que plus remarquable : son livre est particulièrement vivant, sans jamais que la densité et la complexité des idées qui s’y expriment ne viennent alourdir le propos. Et, sans céder à la tentation de la nostalgie d’un passé forcément idéalisé, il convient de reconnaître, à la suite de ce voyage auprès de brillants esprits, que le siècle passé vit s’épanouir nombre de figures essentielles et nécessaires. Nul doute que la camaraderie (parfois), l’émulation (souvent) et les rivalités, tant personnelles que politiques, ont joué un rôle de premier plan en favorisant un « air du temps » particulièrement propice à l’émergence de penseurs tels que Camus, Beauvoir ou encore Bourdieu. C’est cette histoire que nous détaille ici brillament François Dosse.

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