Essais

Chloé Landriot

La Famille sans supermarché

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Chronique de Jérémie Banel

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Face aux défis climatiques et à l’urgence environnementale qui nous menace chaque jour un peu plus, la réponse à ces problèmes tient probablement en deux mouvements, inséparables l’un de l’autre : comprendre, d’une part, et agir, de l’autre. Voici trois livres aux pistes intéressantes, utiles, et même surprenantes.

Commençons par une surprise : jeune journaliste célèbre et star d’Internet, Hugo Clément, habitué des reportages aux quatre coins du monde, livre, dans Comment j’ai arrêté de manger les animaux, un prolongement du livre plus théorique de Jonathan Safran Foer, Faut-il manger les animaux ? (Points). Si la filiation est évidente, il délaisse pour sa part la forme interrogative de son prédécesseur et propose une sorte de manuel pratique, doublé d’un témoignage personnel de son parcours. Le lecteur est donc plongé avec lui au cœur des repas de famille, découvre le délicieux couscous de mamie, les poissons de Méditerranée tous frais péchés par le père, toute cette sociabilisation par la nourriture, et la place centrale, aussi fantasmée que réelle, qu’y occupe l’alimentation issue des animaux. Mais c’est pour mieux en expliquer les faces cachées ou même impensées : la souffrance, l’impact environnemental particulièrement néfaste, les conséquences sur la santé ou encore la faim dans le monde. Le tout sans jamais se poser en donneur de leçons, ni rien cacher des questions ou hésitations qu’il a pu avoir. Un livre sincère et personnel qui permet à chacun de s’interroger et de décider, grâce à une documentation précise, quelle alimentation choisir et vers quel but tendre. Comme on le verra par la suite, changer nos modes de consommation deviendra rapidement un impératif : autant en choisir en conscience les modalités. Pour ce faire, le guide de Chloé Landriot, La Famille sans supermarché, est un outil essentiel. Traité lui aussi sur un mode personnel et évitant autant que possible les injonctions et leçons de morale, il met l’accent sur les aspects positifs des modes de consommation alternatifs. Loin de se priver de quelque chose (qui regretterait réellement la sortie bi-hebdomadaire dans les rayons blafards d’une grande surface ?), consommer différemment permet de s’ouvrir de nouveaux horizons et à divers titres : on pense en premier lieu à la vie locale et pas seulement commerçante. On peut également considérer les nombreuses découvertes en cuisine favorisées par une AMAP, ou encore, pour les familles avec enfants, les activités ludiques à imaginer autour de la production d’un certain nombre de produits « maison ». Au cœur de ces choix, bien évidemment, il y a surtout la question de l’environnement : quitter les supermarchés, c’est favoriser les circuits courts, plus respectueux de la nature et plus « humains ». Il ne s’agit là ni de tout quitter d’un coup ni, comme on l’entend trop souvent, de retourner à l’époque des cavernes. Simplement considérer la consommation comme un acte social et politique, aux impacts (positifs et négatifs) importants. Et à ce titre, les considérer aussi comme un levier pour un monde meilleur, accessible à tous. Une dernière chose : à condition de respecter et de s’astreindre à quelques bonnes habitudes, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, c’est plus économique ! Autant dire qu’on est gagnant à tous les niveaux, alors pourquoi s’en priver ? Un élément sous-tend ces pratiques à promouvoir : la volonté, assez nouvelle finalement, d’envisager les actes du quotidien dans leur globalité, et de consacrer aux choses le temps et l’attention qu’elles méritent. C’est également ce qui a décidé Arthur Lochmann à se consacrer quelques années au beau métier de charpentier, expérience qu’il relate dans La Vie solide. Il s’inscrit dans un mouvement plus large qu’on pourrait qualifier comme d’autres de retour à la terre (au bois en l’occurrence). Face à un monde professionnel où les tâches sont de plus en plus cloisonnées et vidées de leur substance, il défend non seulement son métier en tant que tel, issu d’une tradition millénaire, mais au-delà, un autre rapport au travail. C’est en cela que cet ouvrage est lui aussi profondément politique et parle à chacun d’entre nous. Là aussi, il existe des pistes, des brèches, pour vivre différemment. Finalement, les maîtres-mots de ces ouvrages seraient peut-être la réappropriation (de notre alimentation, de notre consommation, de notre travail) et l’éthique : face à la souffrance animale, aux pratiques néfastes de la grande distribution, aux « bullshit jobs » et au travail mal fait, les alternatives sont toutes là, à portée de main. Il ne tient qu’à nous de nous en saisir, pour une vie meilleure, porteuse de sens et d’accomplissement.

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