Essais

Michel Eltchaninoff

Dans la tête de Marine Le Pen

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Chronique de Jérémie Banel

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À l’approche des échéances électorales, deux livres complémentaires permettent de décrypter le discours du Front national et de sa dirigeante. De cerner, aussi, ce qui se joue réellement derrière les coups de communication et les stratégies politiques : un projet de conquête du pouvoir.

Deux perspectives et deux méthodes. D’un côté une historienne, Valérie Igounet et son titre Les Français d’abord, qui s’inscrit dans un temps long pour retracer l’histoire du Front national à travers ses slogans et discours. De l’autre un essayiste, Michel Eltchaninoff, qui propose, à l’image de ce qu’il avait déjà fait avec Vladimir Poutine, d’entrer Dans la tête de Marine le Pen pour saisir son parcours, ses influences et surtout son ambition. Deux ouvrages qui sont donc parfaitement complémentaires, l’un pour comprendre d’où vient le parti d’extrême droite et comment il a réussi à diffuser ses idées et thèmes favoris au cœur du jeu politique français, l’autre pour appréhender comment son leader, qui en connaît tous les rouages, compte mettre à profit cette porosité. C’est un travail salutaire de décryptage et de décodage qui nous est donné à lire, pour battre en brèche la prétendue dédiabolisation du parti et la conjonction de deux points forts qui sont soulevés. Tout d’abord la multiplicité d’influences et de réseaux au sein du mouvement, qui expliquent pour partie un certain nombre de glissements ou d’hésitations idéologiques, combinée au réalisme politique de Marine Le Pen. Loin d’être une idéologue « pure », elle se place réellement dans une démarche pragmatique d’accession au pouvoir. On observe le développement de discours différents selon les sensibilités des électorats, à tel point que l’on a pu parler d’un Front national des villes et d’un Front national des champs. En cela, elle rompt clairement avec l’héritage de son père, prêt à sacrifier son ambition politique sur l’autel de ses convictions intimes. L’autre constante, qui peut sembler à rebours des points précédents, c’est l’extrême cohérence du discours frontiste sur ces fondamentaux. Alors bien sûr, il est loin le temps des slogans radicaux, assimilant mathématiquement chômage et immigration. Mais au fond, il est toujours question de discrimination, de racisme, de rejet de l’étranger. Immigré hier, « mauvais » musulman aujourd’hui. Un parti et des idées qui avancent masqués, se prétendent héritiers d’un progrès social qu’ils ont toujours combattu et, qui plus est, profondément réactionnaires. Ces deux constantes, cette grande souplesse politique au service d’un projet fondamentalement ancré à l’extrême droite, rendent donc Marine Le Pen et son parti singulièrement efficaces. Après avoir largement imposé ses thèmes au sein de la droite classique et son vocabulaire dans l’opinion, ils disposent d’une implantation politique au cœur du système français et comptent bien en récolter les fruits. Ainsi, de trahisons en tâtonnements, la fille de Jean-Marie Le Pen pourrait réaliser le vieux rêve de la poignée de nostalgiques du Troisième Reich, partisans de l’Algérie française et catholiques intégristes : installer l’extrême droite au pouvoir. Puissent ces deux livres contribuer à lutter efficacement contre cette entreprise.

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