Littérature étrangère

Nikolai Grozni

Wunderkind

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Chronique de Marie-Laure Turoche

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Nikolai Grozni donne à la très bonne collection « Feux croisés » un texte percutant et incisif écrit au rythme de son piano. Si la musique adoucit les mœurs, il n’en va apparemment pas de même pour l’écriture…

Dans la Bulgarie communiste des années 1980, le parcours d’un jeune pianiste de génie au cœur du conservatoire pour jeunes prodiges de Sofia. Comme tout adolescent qui se respecte, Konstantin est en contradiction avec tout et tout le monde : l’école, ses parents, ses professeurs (hormis sa professeure de piano sur laquelle il fantasme) et aussi sur la politique de son pays. Il considère tous les communistes comme des moutons. Entouré par un oncle ancien prisonnier des camps qui lui enseigne la sagesse de la vie, et par Irina, une belle et insolente violoniste, il mène sa quête initiatique. Être un « Wunderkind » (comprenez enfant prodige) implique de se confronter à de lourdes questions existentielles : doit-on se laisser formater par l’école ? Sommes-nous entièrement définis par notre instrument ? Par notre talent ? Un jour, Irina disparaît après s’être fait virer du conservatoire. Il n’en faut pas plus à Konstantin pour tout rejeter en bloc. Par ailleurs, nous découvrons l’histoire dans l’Histoire. Nikolai Grozni dresse le portrait d’une Bulgarie despotique et suspicieuse. La jeunesse, étouffée par une éducation trop stricte, s’adonne à des mœurs dissolues. Elle aspire à la liberté – liberté de penser et liberté de s’amuser bien sûr. Lire Wunderkind, c’est comme déchiffrer une partition et se laisser porter par sa musique. Chaque mesure, chaque note jouée par nos musiciens donne lieu à de magnifiques envolées lyriques, à une véritable exaltation des sentiments ; ou fait place à un souvenir. L’écriture est aussi exigeante et saccadée que les préludes de Chopin : « Wunderkind réveille tous les sens. La prose miroitante et viscérale de Nikolai Grozni déferle telle une symphonie, avec un piano à queue pour machine à écrire infernale. » Ce sont les mots de la talentueuse Patti Smith, excusez du peu.

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