Essais

Joan Didion

Pour tout vous dire

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Chronique de Marie-Laure Turoche

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On peut la voir dans le documentaire réalisé par son neveu, Le Centre ne tiendra pas, petit bout de femme au charisme indescriptible, accompagnant chacune de ses paroles par de grands gestes. Joan Didion nous a quittés en décembre dernier et nous perdons avec elle une immense écrivaine.

Brest Easton Ellis l’idolâtrait, Warren Beatty en était amoureux, Barack Obama l’a décorée et Annie Leibowitz l’a photographiée. Joan Didion était une véritable icône en Amérique mais elle en était surtout le miroir. À travers de nombreux articles et essais, elle a souvent écrit sur la politique et la culture de son pays. Dans les années 1960-1970, elle s’est particulièrement penchée sur les années hippies, notamment dans L’Amérique où elle trace les portraits de Janis Joplin, des Doors ou encore de Charles Manson. Le recueil inédit que publie Grasset (traduit par Pierre Demarty et préfacé par Chantal Thomas), Pour tout vous dire, nous permet de découvrir d’autres chroniques rédigées dans les années 1968, 1998 ou 2000. Elle peut nous entraîner dans des réunions de joueurs anonymes ou nous décrire sa fascination enfantine pour la maison des Hearst. Dans ce texte passionnant, Les Derniers Mots, elle rend compte de sa passion pour Ernest Hemingway et montre comment les dernières volontés des écrivains peuvent être bafouées. Ce recueil se conclut sur un portrait admiratif et surprenant de Martha Stewart, Madame-tout-le-monde.com. Avec sa plume fine, sans fioritures, son ton décalé et sans complaisance, celle qui a fait ses classes dans Vogue nous ravit page après page. Dans Pourquoi j’écris, titre emprunté à Orwell, toujours dans ce même recueil, Joan Didion dit : « Je n’écris que pour découvrir ce que je pense, ce que je regarde, ce que je vois et ce que ça signifie. Ce que je veux et ce que je crains. ». Qu’elle rédige des essais, des articles ou des romans, Joan Didion a toujours écrit pour comprendre. Il en va de même pour ses œuvres autobiographiques. L’Année de la pensée magique, son plus beau livre, couronné par le prestigieux National Book Award, traite de la perte de son mari. Comment faire face à la disparition de celui qui a été le compagnon de toute une vie ? Un de ses proches dit qu’elle a abordé le deuil en journaliste. C’est le sujet le plus intime et le plus douloureux qui soit et elle le traite de façon presque clinique. Mais Joan Didion réussit, à travers ce récit personnel, à toucher tout un public en mettant des mots sur leur propre peine. Elle continuera ce travail de catharsis avec Le Bleu de la nuit qui raconte la mort de sa fille survenue deux ans après celle de son mari. Joan Didion a fait son deuil par l’écriture ; le plus bel hommage que nous puissions lui rendre, c’est de faire le nôtre en la lisant encore et toujours.

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