Littérature étrangère

Anatole Broyard

Kafka faisait fureur

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Chronique de Marie-Laure Turoche

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« C’était l’époque où Kafka faisait fureur. » Portrait d’une époque, celle des années 1940, portrait aussi d’une génération d’intellectuels et d’artistes qui peuplaient les rues de Greenwich Village, le Saint-Germain-des-Prés new-yorkais.

Anatole Broyard s’installe à Greenwich Village à son retour de la guerre. Il vient de rencontrer Sheri, jeune artiste fantasque et protégée d’Anaïs Nin, qui lui propose d’emménager avec elle. Cette liaison sera déterminante pour Anatole. Elle va l’initier à la liberté sexuelle et le faire entrer dans un monde d’artistes et d’écrivains. Ce récit autobiographique (inachevé) s’articule autour de ce personnage. Il est divisé en deux parties : « Sheri » et « Après Sheri ». Le livre d’Anatole Broyard est fascinant parce qu’il donne l’impression d’une parenthèse enchantée. Greenwich Village ressemble à un paradis peuplé de peintres et d’intellectuels. Les conversations sont profondes, stimulantes et les fêtes sont décadentes : « Les deux grands changements qui m’intéressaient le plus étaient les mouvements vers la liberté sexuelle et vers l’abstraction dans l’art et la littérature ». C’est le revers de la médaille. On cherche tellement à vivre son existence comme un art qu’on en oublie la vie elle-même. Ainsi, Anatole espérait pouvoir parler de lui avec son psychanalyste comme s’il était lui-même le personnage d’un roman. La deuxième partie, « Après Sheri », se présente comme la succession de plusieurs rencontres, conversations marquantes et autres anecdotes. On assiste par exemple à une soirée insolite en compagnie de Caitlin Thomas et Dylan Thomas. Kafka faisait fureur est le récit d’une fuite dans la littérature, mais aussi de la naissance d’un écrivain : « Je transformais tout en littérature, et c’était quelque chose auquel aucune histoire d’amour ne pouvait survivre. » Ce livre est un texte autobiographique et une réflexion sur la vie et la littérature, ou comment ne pas se perdre dans l’idée et la représentation. Au-delà de sa dimension intellectuelle, il s’agit d’un ouvrage percutant, amusant et résolument moderne.

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