Littérature étrangère

Ma Jian

La Route sombre

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Chronique de Marie-Laure Turoche

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Les romans de Ma Jian, célèbre dissident chinois, sont depuis longtemps interdits dans son pays. La Route sombre décrit notamment les conséquences désastreuses et traumatisantes de la politique de la natalité.

Dans la campagne chinoise, Kongzi l’instituteur du village et Meili attendent leur deuxième enfant. Tout pourrait être pour le mieux, mais ils n’ont pas la permission légale d’en avoir un autre, leur fille aînée n’étant pas assez âgée. Kongzi a décidé de passer outre les lois. Il est le descendant de Confucius, il doit perpétuer la lignée avec un fils. Et Meili ? « Elle a découvert que les femmes ne sont pas maîtresses de leur propre corps, dont leurs maris et l’État se disputent la possession […]. Ces intrusions constantes dans les régions les plus intimes de son corps l’ont coupée de son identité profonde. » Le couple décide donc de fuir vers le sud du pays. Ils vont vivre pendant des mois sur des péniches insalubres, au milieu d’odeurs nauséabondes. Ils vont traverser un véritable décor chaotique jusqu’à ce qu’ils s’installent sur la terre promise de « la Communauté céleste », le paradis selon Meili, puisque la toxicité y est si forte que les hommes deviennent stériles. La Route sombre décrit le combat d’une femme qui refuse d’être réduite à un simple utérus. Elle décide de se révolter contre son mari et contre l’État. Meili se rêve en femme qui travaille et qui se peint les ongles en rouge. Elle reprend le contrôle de son corps de manière assez surprenante. Au fil des pages et du chemin qu’ils parcourent, ils croisent de nombreuses personnes et affrontent des épreuves terrifiantes, voire aberrantes, d’autant plus que certaines scènes ne sont que le reflet de la réalité. Ce roman prend parfois des allures de fable (ou de cauchemar), mais l’horreur laisse place à la beauté, celle de Meili et de ce roman qui la raconte. Ma Jian bouscule, dérange et choque volontairement son lecteur. Ce n’est pas une lecture confortable, au contraire… et tant mieux.

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