Littérature étrangère

Escapades littéraires

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Par Marie-Laure Turoche

Les éditions Philippe Rey proposent une nouvelle collection intitulée « Fugues ». L’occasion pour nous, lecteurs, de découvrir ou re-découvrir quelques trésors de leur catalogue. Pour commencer, quatre livres, quatre fugues à prix poche, aux couvertures belles et sobres, qui vous donneront envie de vous échapper…

Parmi ces quatre livres, deux ont pour toile de fond l’Amérique des années 1950-1960. Le premier est celui de la célèbre Joyce Carol Oates avec son tout aussi célèbre roman, Les Chutes, paru en 2005. Ariah Littrell se retrouve veuve le lendemain de sa nuit de noces. Son époux, un jeune pasteur, s’est suicidé en se jetant dans les chutes du Niagara. Elle rencontre ensuite Dick Burnaby, un brillant avocat avec qui elle se marie et dont elle aura trois enfants. La vie semble enfin lui sourire et, pendant plusieurs années, elle vivra heureuse, jusqu’à ce que le malheur la rattrape. Dick meurt dans un mystérieux accident de voiture qui l’entraîne dans les Chutes… Ces Chutes ont toujours exercé une fascination dangereuse pour qui s’en approche… Accident, meurtre ou malédiction ? Le second roman, Comment les fourmis m’ont sauvé la vie de Lucie Nevaï paru en 2009, plante son décor dans l’Iowa. Crane est née avec le front difforme parce que « sa mère a essayé de se débarrasser d’elle. » Elle grandit dans une cabane insalubre avec ses trois parents, des anciens prêcheurs reconvertis dans la prostitution ou l’arnaque au billard, ainsi qu’avec son frère et sa demi-sœur : « Jima était une ivrogne […] et Little Duck un maniaque sexuel. » Ils ne vont jamais à l’école. Un jour, un homme se met à creuser un lac près de chez eux, puis sortent de terre un magasin de pêche et des maisons… Une véritable petite ville prend forme et les trois enfants découvrent la civilisation, eux qui ne connaissaient que la terre et la misère. En plus de sa difformité, Crane possède une autre particularité : elle est surdouée. Plus tard, grâce à des parents adoptifs aimants, elle ne sera plus celle qui « chie » dans les roseaux, mais une brillante élève qui se prendra de passion pour les fourmis. Pourtant, vos racines ne vous lâchent jamais, l’odeur de la poussière est tenace et elle se fera à nouveau sentir. J’aime ces deux héroïnes, elles sont fascinantes et tragiques, fortes et faibles à la fois. Si elles donnent l’impression de se soumettre au malheur, c’est pour mieux se relever. Elles ont en commun ce lourd passé qui semble peser comme une malédiction : malédiction des chutes pour l’une, malédiction de la poussière pour l’autre. Deux romans mélancoliques, puissants et magnifiquement écrits. Deux styles, deux voix, deux grandes écrivaines ; deux textes qui rendent véritablement hommage au titre de cette nouvelle collection. On s’évade au fil des pages, parcourant cette Amérique profonde dont on ne se lasse jamais.