Littérature étrangère

Margaret Wrinkle

Wash

illustration

Chronique de Emmanuelle George

Librairie Gwalarn (Lannion)

Wash est un roman choral qui éclaire un épisode méconnu de l’histoire du Sud esclavagiste : l’exploitation par les Blancs de la reproduction des esclaves. Une écriture subtile y donne voix à des personnages inoubliables.

Premier roman de l’Américaine Margaret Wrinkle, Wash se situe dans les années 1800-1825 le long de la frontière du Tennessee. À l’issue de la guerre anglo-américaine de 1812, Richardson, ancien combattant et prisonnier, rejoint sa plantation en ruine. En désespoir de cause et sur les conseils de voisins, il se lance dans l’élevage d’esclaves, comme on élève des chevaux. Son étalon reproducteur pour pérenniser la qualité de nouvelles générations d’esclaves, ce sera Washington (son diminutif donne le titre au roman), un jeune homme vigoureux, fougueux et d’une incroyable beauté noire, un « pur-sang » d’Afrique de l’Ouest. Dès le prologue, une écriture absolument saisissante et somptueuse, subtile et poétique, porte les destins croisés de trois personnages principaux. Leurs voix, leurs points de vue et leurs sensations entremêlées renforcent la puissance d’évocation de cette histoire tragique d’eugénisme esclavagiste et préservent des stéréotypes et des caricatures qui menacent forcément ce défi de représentation littéraire du peuple noir. Autour de la terrible destinée de Wash (personnage ô combien tragique, car exploité, humilié et rejeté de tous), gravitent celle de Mena, sa mère, impossible à mater, qui lui a transmis son riche héritage spirituel africain. Celle de Richardson, aussi, maître esclavagiste proxénète et alcoolique, tiraillé par sa propre histoire et ses doutes, qui entretient avec Wash un terrifiant rapport de fascination-répulsion. Celle de Pallas, enfin, une sage-femme métisse profondément bienveillante et clairvoyante qui irradie d’une force tranquille son amour salvateur pour l’esclave étalon. Ce roman violent, poignant et original, aux personnages inoubliables, porté par une écriture sensuelle et lyrique, émeut autant qu’il interroge la mémoire collective.

Les autres chroniques du libraire