Littérature française

Yasmina Khadra

L’Équation africaine

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Chronique de Emmanuelle George

Librairie Gwalarn (Lannion)

Autour d’un drame, une prise d’otage au large de la Somalie, Yasmina Khadra construit un roman captivant où violence et misère portent suspense et angoisse. L’espoir aussi y accompagne la lente transformation d’un homme.


Médecin à Francfort, Kurt Kraussmann mène une vie ordinaire entre son cabinet de consultation et son appartement bourgeois. Un jour c’est le drame : sa femme se suicide. Pour aider son ami à surmonter son chagrin et à se ressaisir, Hans, un riche homme d’affaires, lui propose d’embarquer sur son voilier jusqu’aux îles Comores pour une mission humanitaire. Mais au large des côtes somaliennes, ils sont attaqués par des pirates et pris en otage. Le voyage « thérapeutique » se transforme subitement en descente aux enfers. Transférés dans un campement clandestin, battus et humiliés, les deux amis font la connaissance de Bruno, compagnon d’infortune français dont la captivité fait osciller ses sentiments pour le continent africain de la passion à la répulsion. Dans cette geôle improvisée, les conditions de vie sont plus que difficiles, les rapports avec les mercenaires africains plus que tendus. Leur cauchemar ne fait que commencer… Chacun tente de trouver la force de conserver son discernement et de surmonter cette épreuve. Et pourtant, chacun craque à sa manière, chacun tombe aussi. Peut-être pour mieux se relever. Car le drame initie aussi des changements imperceptibles. L’angoisse, l’attente, les échanges avec les Africains les rendent plus profonds. L’amitié, la fraternité, la complicité, et pourquoi pas l’amour y seraient-ils salvateurs ?

Dans ce roman au réalisme puissant où les mercenaires deviennent palpables et humains, où la vie et le regard d’un Européen moyen changent irréversiblement, Yasmina Khadra donne à voir une Afrique orientale à la fois violente et indomptable, irrationnelle et sage, grave et lucide. En dépit du choc des cultures, des mentalités et des calamités, en dépit des apparences (souvent trompeuses), son roman est anti-dépressif. Tel un marabout centenaire dont la vie fut laminée par des années de guerre et de privations, il délivre un message d’espoir vivifiant car il assure aux plus désespérés que « seuls les morts sont tristes de ne pouvoir se relever ».


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