Littérature française

Éric Chevillard

L’Explosion de la tortue

illustration

Chronique de Emmanuelle George

Librairie Gwalarn (Lannion)

Comment un « crac » peut-il provoquer un déclic en littérature ? L’excellente et corrosive Explosion de la tortue peut apporter des éléments de réponse, oscillant entre histoire loufoque et leçon de choses.

En ce début d’année, vous lirez bien un peu de Chevillard ! Que vous connaissiez ou non le phénomène, assurément, vous allez vous régaler. Pourquoi ? Parce que son nouvel opus est un texte drôle (« Oh oui, on en a tellement besoin en cette période ! », dit le badaud). Parce que c’est un texte intelligent (« Moi j’aime bien quand j’apprends des choses en lisant », précise le curieux). Parce que c’est un texte avec informations, explications, et références (« Moi je suis plutôt littéraire », intervient le oisif, « et moi un esprit scientifique », renchérit le flâneur). Parce que c’est un texte qui n’est pas manufacturé (« Ah, un styliste ! Enfin ! », applaudit le promeneur). Parce que c’est un texte quasi fragmentaire, ponctué d’aphorismes (« Ouf ! », s’exclament les lecteurs ponctuels). Résumons-nous : ici, la situation est tragi-comique, son développement burlesque et l’éloge de la mauvaise foi virtuose. En effet, à son retour de vacances au bord de la mer, le narrateur assiste à la mort de sa tortue de Floride, après que sa carapace décalcifiée s’est brisée. À qui la faute ? À la compagne du narrateur, au vendeur de l’animalerie, au concierge, aux fabricants de bouchons de baignoire, à la tortue elle-même ? Mince ! Que de tracas ! Sans compter qu’il faut songer à « réhabiliter » l’œuvre de Louis-Constantin Novat. De digressions en divagations, le destin d’une tortue rejoint celui des hommes. Entre l’affabulation et la subversion, ce texte est roboratif. Il y a là une bonne dose d’indispensable nonsense, des envolées dignes de l’irremplaçable Raymond Devos, des piques chères à l’inimitable Pierre Desproges. Dans cette farce où l’érudition et la dérision cohabitent avec bonheur, nous tenons un écrivain du presque-rien, un de nos meilleurs stylistes contemporains.

Les autres chroniques du libraire