Littérature étrangère

Steve Sem-Sandberg

Les Dépossédés

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Chronique de Emmanuelle George

Librairie Gwalarn (Lannion)

Avec Les Dépossédés, le Suédois Steve Sem-Sandberg revient sur l’histoire du ghetto de Lodz créé en 1940 et « liquidé » en 1944 par Himmler. Il revient aussi sur la figure controversée de Mordechai Chaim Rumkowski, président du Conseil juif de la ville.

Pour écrire cet étourdissant roman (lauréat 2009 du prix August Strindberg, équivalent suédois du Goncourt), Sem-Sandberg s’appuie sur les archives du ghetto de Lodz, traduites en allemand en 2007. Ces 3000 pages de chroniques collectent une quantité impressionnante de faits officiels concernant le ghetto, mais aussi des informations interdites cachées par les résistants, comme des bulletins de guerre alliés, des cartes des fronts, des journaux intimes. Des milliers de pages dont il s’inspire pour écrire cette tragédie, mais surtout dresser le portrait d’un homme à part, une sorte de tyran ordinaire, mi-sauveur mi-bourreau : Rumkowski. Pas à pas, sans pathos, Sem-Sandberg plante le décor et les enjeux de son roman entre fiction et document. Nommé par les nazis à la tête du Conseil juif pour servir d’intermédiaire, convaincu que, si les travailleurs juifs se rendent indispensables à l’effort de guerre allemand, ils seront épargnés, Rumkowski transforme rapidement le ghetto en un immense atelier super productif. Pris au piège de sa logique, il exhorte à sacrifier les inadaptés et les indésirables, les enfants, les vieillards, les malades. Pour sauver ses compatriotes, il sera en définitive, consciemment ou non, un très efficace rouage de la machine d’extermination nazie. Et pour cause, après un semblant de sursis, le ghetto sera « liquidé » par Himmler en 1944. Traître pour certains, héros pour d’autres, le très controversé Rumkowski suscite des interrogations diverses. Avec intelligence, le ressort dramatique du roman s’appuie sur des informations précises et foisonnantes (liens entre les personnages, plan du ghetto, glossaire et commentaires sous forme d’épilogue). Accordons-nous finalement sur une note de l’éditeur qui souligne que Sem-Sandberg rend compte par le roman de la Shoah sans la trahir et « se pose en héritier d’une autre manière d’accomplir le devoir de mémoire : il n’est pas témoin, mais il est passeur. Sans témoin l’Histoire perd son sens ; sans passeur, elle s’efface. ».


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