Littérature étrangère

Callan Wink

Courir au clair de lune avec un chien volé

illustration

Chronique de Emmanuelle George

Librairie Gwalarn (Lannion)

Dans le Montana ou le Wyoming ; des personnages drôles, courageux et insoumis ; des vies de gens pourtant ordinaires ; une prose simple, néanmoins riche de sens. Voilà neuf nouvelles aussi variées que percutantes, d’une sincérité désarmante signées Callan Wink, un tout jeune auteur qui a déjà la carrure d’un grand.

Sous une lune gibbeuse, un jeune homme nu et un chien courent dans la nuit. À leurs trousses, deux types louches, Montana Bob et Charlie Chaplin, déterminés à récupérer l’animal et à se venger de son vol. « Courir au clair de lune avec un chien volé », première des neuf nouvelles de Callan Wink, vous embarque littéralement dans son univers original et énergique. Déjanté ? Pas vraiment. Plutôt tendre, sensible, humain. Bien sûr, les grands espaces, l’Ouest américain, la nature y prennent vie, mais c’est pour mieux accueillir des hommes ordinaires, parfois tristes, souvent insoumis. On y rencontre un jeune secouriste, amoureux d’une femme bien plus âgée que lui, un homme marié qui entretient une liaison par intermittence avec une Indienne alors que sa femme lutte contre la maladie, un adolescent qui massacre des chats, un professeur qui passe un été dans un ranch pour reprendre sa respiration, un chef de chantier qui tente d’oublier ses morts, un séjour en prison, un voyage entre père et fils, et toute une vie de femme, ponctuée de joies et de désillusions. L’ambiance de ces textes est singulière, tantôt mélancolique, tantôt exotique ou anticonformiste. Ce sont des nouvelles sans chute classique, des histoires sans fioritures, des personnages divers, attachants qui défient l’existence, souvent. La diversité de tons et de styles (doux-amer, sarcastique, poétique, humoristique, etc.) porte la diversité des sujets. Souvent, la simplicité de l’auteur est désarmante, presque naïve, mais jamais mièvre : « les baisers ont une façon à eux d’acquérir de la masse : d’abord flocon de neige, puis boule de neige et enfin avalanche ». Ici, un peu de suspens dans la banalité du quotidien, là, une tragi-comédie sentimentale, plus loin, une odeur d’alcool, de maladie ou de mort, et aussi des récits d’introspection et des ellipses aussi fortes que de longs discours. À travers une mosaïque de vies de l’Amérique profonde, Callan Wink donne de la puissance à ces héros du quotidien. Sa voix sonne juste car son regard est lucide, critique, un brin désabusé mais jamais cynique, toujours bienveillant. Son originalité ? Une simplicité littéraire riche de sens. Si bien qu’une fois passée la lecture de ces nouvelles, toutes sortes de petites voix continuent de vous murmurer à l’oreille bien des choses sur l’amour, le désamour, la famille, la solitude, le temps qui passe, la mort. Comme des refrains, des motifs réapparaissent (les Indiens, la lune, la rivière, le lac, le bateau, la pêche, le ranch, les soins, la maladie, etc.). Des sujets universels rebattus en littérature ? Oui ! Sauf qu’ici, le charme opère, encore. Voilà des textes émouvants et intelligents, puissants : de vraies pépites littéraires. Pour la petite histoire, Callan Wink, la trentaine, est guide de pêche à la mouche dans le Montana. Si quelques exemplaires de son livre se vendent, il promet à ses amis et collègues de payer sa tournée. Assurément, il pourra tenir parole. Car les lecteurs francophones devraient l’y aider.

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