Littérature française

Écrire : une présence au monde

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✒ Emmanuelle George

(Librairie Gwalarn Lannion)

Jeanne Benameur dessine la silhouette d’une des femmes les plus illustres de l’Histoire. Une femme qui lit et écrit, une femme libre derrière l’icône. Combien de mots justes pour conter subtilement l’émancipation d’une mère en deuil et son envol vers le plaisir d’écrire son propre destin !

Tel un chuchotement, ce nouveau court roman de Jeanne Benameur invite au cœur d’un paysage de bord de mer, dans un village de pêcheurs, à cheminer aux côtés d’une femme solitaire et en deuil. Une femme douce et farouche qui se tait et sourit pourtant. De passage et aspirant à un peu de quiétude, elle n’est jamais nommée, on la reconnaît pourtant. Auprès de Jean, le fidèle compagnon du fils dont elle souffre la perte, pas à pas, elle calme sa peine et se contente de peu. S’affranchir d’un destin qui lui a été écrit d’avance : quelle idée ! Pourtant, c’est au hasard d’une rencontre avec une petite fille, orpheline et muette, à qui elle va partager, transmettre un peu de ce qu’elle sait (dessiner, laisser des traces, écrire) et grâce à l’écriture que cette femme va tracer le sillon de son émancipation. Elle se souvient combien, dans sa propre enfance, elle fut animée par le désir d’apprendre. En dépit de ce qui lui était répété : le savoir est une affaire d’hommes. Vivant dans l’ombre, on lui a assigné un rôle : elle a porté, élevé un fils, et pas n’importe lequel, le Messie pour certains. Puis elle l’a perdu. Désormais vivre est isolement, douleur et place vide à combler. Enfant, elle a eu la curiosité, la soif d’apprendre et la vie a placé sur son chemin un allié, un vieil homme, un maître qui lui a appris les signes, tracés dans la poussière puis aussitôt effacés du pied, parce qu’apprendre, pour elle, c’était transgresser la tradition, parce qu’elle ne devait pas avoir le droit à cet apprentissage. Désormais elle se rend compte que jusqu’ici, dans sa vie, elle n’a pas pu choisir. Excepté ce désir qui la mène à l’écriture. Elle a désormais son destin entre les mains, elle pourra écrire les histoires des uns et des autres : « Elle ne bâtira pas d’église, elle ne portera aucune parole divine. C’est la parole humaine qu’elle essaiera d’entendre, cette parole qui n’est parfois qu’un murmure. C’est dans ces murmures qu’elle entend la vie pleine, la vie si fragile. » Jeanne Benameur signe ici un roman lumineux d’une infinie douceur poétique où les silences sont éloquents et qui fait la part belle à la sensualité du monde vivant et à la joie. Comme un élan vers l’autre et vers soi. Un roman subtilement féminin et féministe. Une histoire d’émancipation et de transmission qui fait écho à la publication simultanée d’un récit personnel intitulé Vers l’écriture. Un texte où l’autrice revient sur sa longue pratique d’animation d’ateliers d’écriture, partage son expérience et surtout l’envie d’installer la pratique de l’écriture dans la vie quotidienne, comme un socle, un refuge sur lequel s’appuyer pour se sentir vivant, densément humain. « Un lieu silencieux et fidèle. Un lieu où l’on se reconnaît vivant parmi les vivants. »