Littérature française

Metin Arditi

Le Turquetto

illustration

Chronique de Emmanuelle George

Librairie Gwalarn (Lannion)

Halte aux grincheux qui prétendent que, dans le domaine littéraire français contemporain, l’art de la fiction brille par son absence. Emparez-vous donc d’un roman de Metin Arditi. Au hasard, Le Turquetto , son dernier, et découvrez le talent d’un conteur inspiré et la maîtrise d’un grand romancier.

PAGE : Metin Arditi, vous voilà lauréat d’un des premiers prix littéraires de cette rentrée. Quel est votre sentiment à l’annonce de cette bonne nouvelle ?

Metin Arditi : Un sentiment de vraie joie. Bien sûr, il y a le plaisir, celui d’avoir été retenu pour un prix important. La joie, c’est autre chose. Un sentiment plus profond, plus léger. Ce prix couronne un texte qui a été sélectionné par des libraires. Il y a là une vérité.

 

P. : Vous introduisez votre roman par une note au lecteur qui se réfère à une découverte exceptionnelle et avérée. D’emblée, le lecteur est intrigué et captivé. À partir de ce postulat, comment avez-vous procédé pour rebondir dans la fiction et construire votre roman ? Et nous donner à voir un véritable génie au travail ?

M. A. : La découverte à laquelle vous faites référence n’est pas avérée. Elle fait partie du roman… Non, le Louvre n’a jamais prêté L’Homme au gant au Musée d’Art et d’Histoire de Genève. Non, Genève n’a jamais organisé une exposition intitulée « Venise, ou la couleur retrouvée ». Non, il n’y a jamais eu d’étude sur une curiosité chromatique dans la signature de L’Homme au gant . Du moins pas à ce jour… Tout est inventé, de la première à la dernière ligne.

 

P. : Là, vous m’avez bluffée ! J’avais vraiment cru à la véracité de cette information. Sans doute aussi comme on peut (ou veut) croire aux contes et aux fées quand on est enfant…

M. A. : Nous sommes sans cesse dans cette double quête du rêve et de la tranquillité, de la poésie et de la réalité rassurante. Le paradoxe, c’est que le rêve nous est d’autant plus accessible que son contexte est crédible, qu’il a le potentiel d’exister. En l’espèce, la note au lecteur est d’une précision extrême et d’une justesse scientifique absolue. Peu importe que cela soit ou non compréhensible au lecteur. Si un texte est précis et vrai, il sonne vrai. C’est cette crédibilité qui explique, je crois, pourquoi il n’y a pas eu un seul lecteur, parmi ceux qui m’ont parlé du livre, qui n’ait cru au prologue. Mais ce n’est là qu’une hypothèse… Qui a l’air juste…

 

P. : En quelque sorte, vous nous livrez une fabuleuse histoire de l’art. Quels sont vos rapports à l’art en général, et à la peinture en particulier ?

M. A. : Mes rapports à la peinture sont faits de méconnaissance et d’admiration. C’est le quatrième livre que j’écris dans lequel la peinture est un élément essentiel. Mes rapports à l’art de façon générale sont, eux, plus analysés, si je peux dire. Mon activité dans la musique m’a amené à beaucoup réfléchir à la place de l’art dans la société, et, partant, à la place du roman. Que vous dire, sinon que ce midi, je déjeunais avec une personne de grande qualité qui me disait : « L’année où j’ai perdu mon travail, le roman m’a sauvé la vie. Et je sais que si un jour je perds tout, il me restera le roman. » L’art, et le roman, c’est cela : une façon de retrouver le fil de la vie. De la redécouvrir. De s’y rattacher.

 

P. : Vous développez également le rapport de l’art, notamment à cette période précise de la Renaissance, avec la religion et la politique. Quelle a été votre ambition ?

M. A. : Aucune, honnêtement. En mettant l’art et la religion côte à côte, on n’a rien besoin de faire ou de dire. Les faits parlent d’eux-mêmes. Il n’y a pas photo.

 

P. : Sans compter que les questions d’identité et de filiation sont au cœur de votre intrigue. Qu’avez-vous préféré dépeindre, le destin de l’artiste ou celui de l’homme ?

M. A. : Il n’y a pas plus humain que l’artiste. Ses deux destins ne font qu’un. La passion artistique mène le bal, et le destin de l’homme s’adapte, prend la forme qu’il faut, celle qui l’aidera le mieux dans l’épanouissement de son art. Il ne s’agit pas de sacrifice. La démarche est inéluctable.

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