Littérature française

Diane Meur

La Carte des Mendelssohn

illustration

Chronique de Emmanuelle George

Librairie Gwalarn (Lannion)

Une saga sur les Mendelssohn ? Le roman d’une enquête ? De l’autofiction ? Impossible de réduire le cinquième roman de Diane Meur à ces étiquettes tant elle y conjugue talent, érudition, fantaisie et subversion. Laissez-vous guider. Destination littéraire d’envergure !

Entretien avec Diane Meur from PAGE des libraires on Vimeo.

 

Voici un livre qui raconte l'histoire d'un livre en train de s'écrire. Un roman hors norme, ambitieux et ludique. Un roman de l'enquête qu'a menée Diane Meur sur Abraham Mendelssohn, banquier oublié de l'histoire, fils de Moses Mendelssohn, le philosophe des Lumières et père de Félix Mendelssohn le compositeur. En remontant aux origines et en tirant le fil des liens familiaux, la romancière explore une descendance qui s'étend de façon tentaculaire au monde entier, jusqu'à ce que l'arbre généalogique initial se transforme en carte et envahisse d'abord sa table de salon puis son projet littéraire. En écrivant le roman vécu de sa recherche sur les Mendelssohn, en se mettant en scène comme personnage, Diane Meur prend son lecteur par la main et l'invite à un voyage temporel et planétaire inédit. Dans la forêt profonde de cette histoire familiale qui s'étend sur trois siècles et quatre continents, c'est un peu de notre histoire collective et heureusement métissée qu'elle éclaire de son brillant talent littéraire.

 

Page — Quelle a été la genèse de votre nouveau roman ?
Diane Meur — Je savais que Félix Mendelssohn, le compositeur, était le petit-fils de Moses Mendelssohn, le philosophe des Lumières et, depuis longtemps, j’avais envie d’écrire un roman sur celui qui a été entre les deux, le père de l’un, le fils de l’autre. Je trouvais magnifique d’écrire sur quelqu’un dont on ne sait rien de la vie. J’envisageais donc un roman sur le vide, sur une existence de l’entre-deux. Mais lors d’un séjour à Berlin, quand je commence à m’y intéresser, je me rends compte qu’il existe une documentation pléthorique sur cette famille, et même des CD-rom sur leur généalogie. Je prends conscience que leur descendance couvre trois siècles et s’étend sur quatre des cinq continents. Cette structure en tant que telle, cette espèce d’éparpillement tous azimuts qui comprend tous les milieux sociaux et de nombreuses religions me fascine littéralement. À ce moment-là, je me sens perdue, je sais que je n’écrirai jamais le roman de cet Abraham Mendelssohn, mais que j’explorerai cette histoire familiale « en montant et en descendant dans un espace complexe ». Je me suis donc plutôt lancée dans un « récit de voyage ».

P. — Un récit de voyage où l’on explore l’histoire d’une grande famille et dans lequel vous nous servez de guide ?
D.-M. — Oui, je sers de guide car j’ai pris conscience qu’il serait vain d’essayer d’écrire une saga au sens classique. Car une saga qui s’étend sur sept générations avec des centaines de personnages, à un moment, cela ne veut plus rien dire. J’ai décidé qu’il valait mieux que je sois moi-même le personnage du roman, que je dise Je, que je me promène dans cette histoire de manière subjective en relatant mon enquête et en faisant part de mes réflexions. Je ne cherchais pas à être exhaustive, cela n’avait aucun sens. J’y aurais passé cent ans de plus et j’aurais écrit 40 000 pages. Le roman serait épouvantable. Alors que là je m’éparpille joyeusement...

P. — Pour ne pas vous perdre, vous avez même fabriqué une grande carte qui donne son nom au roman ?
D.-M. — À un moment, je me suis dit qu’il fallait que j’y voie clair dans cette enquête, sinon j’allais rapidement cesser de m’y retrouver. Mais tracer cette carte généalogique devint une expérience cauchemardesque dont je parle dans le texte. J’en ai fait quelque chose de drôle en écrivant l’histoire, alors que c’était épouvantable et que cela m’a pris des semaines durant lesquelles j’ai cru que mon esprit allait exploser. Cette carte commençait à envahir mon appartement, mes pensées et ma vie familiale. J’étais presque inquiète. Il y avait un côté apprenti sorcier avec les morceaux de balai qui se subdivisent encore et encore. J’avais peur, je me demandais quand cela allait s’arrêter. Mon sujet me semblait un peu maléfique et effrayant. Car il y avait une sorte d’aléatoire complet. Mon point de départ était attirant pourtant : la vie d’un homme, plutôt sympathique, un philosophe des Lumières qui a eu plein d’enfants. Mais plus j’avançais dans mes recherches, plus je dédoublais l’aléatoire et je suivais des parcours qui n’avaient plus rien à voir avec le personnage de départ ! Si bien qu’au XXe siècle, j’ai découvert parmi leurs descendants des soldats de la Wehrmacht, des émigrants, des Italiens, des Anglais, des Américains, des Japonais, des Canadiens, des Indiens… Même si ce travail de recherche était difficile et que je me sentais débordée par cet immense fleuve d’informations, j’ai constaté que les origines et les racines ne déterminent rien et mènent à tout et son contraire. J’ai trouvé cela merveilleux finalement. Pour moi, c’est un livre sur l’absence de déterminisme, sur la liberté humaine !

P. — Ce travail d’exploration, vous le menez avec sérieux comme un détective, mais vous en rendez compte avec une érudition joyeuse pimentée d’humour. Vous êtes-vous amusée en menant cette enquête ?
D.-M. — Oui beaucoup ! À Berlin notamment, j’ai rencontré des gens très différents dans les lieux les plus bizarres. Avec mon carnet de notes, ma mallette, je me suis même retrouvée dans un château en ruines. J’ai connu beaucoup de moments d’enthousiasme et d’amusement, mais aussi, je vous l’avoue, des moments de doute terrible, d’angoisse, de terreur, car j’étais en terrain inconnu et je trouvais que ce que je faisais ne ressemblait à rien, menaçant constamment de se prolonger sans fin… de même qu’il n’y avait pas vraiment de commencement. À ce moment-là, je me suis dit que la généalogie n’a pas beaucoup de sens. Remonter jusqu’où, descendre jusqu’où ? Je me sentais déséquilibrée et déstabilisée par ce côté mouvant de mon projet, à l’image peut-être de l’existence humaine qui bourgeonne, bouillonne, bouge... Après avoir terminé, je me sentais beaucoup mieux. La joie et l’humour pouvaient être détachés de toute inquiétude. Mais il faut bien le reconnaître, mon travail ne ressemble pas à grand-chose de connu, mon seul modèle c’était peut-être La Vie mode d’emploi de Perec.

P. — Vous nous guidez dans votre roman comme dans une vaste forêt où le petit Poucet a déposé ses cailloux. Tous ces petits bouts de vies font penser à un formidable éloge du métissage. Là où il n’y a pas vraiment de commencement, alors il n’y a pas de fin ?
D.-M. — Il y en a des milliers et autant de parcours ! Les descendants des Mendelssohn que j’ai rencontrés il y a quelques années continuent à avoir des enfants. On pourrait toujours ajouter des chapitres...Il y a même peut-être parmi vous, lecteurs, des membres de cette famille !

Sélection prix du Style 2015

Les autres chroniques du libraire