Polar

Thomas H. Cook

Le Crime de Julian Wells

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photo libraire

Chronique de Jérôme Dejean

Librairie Les Traversées (Paris)

Il est possible de faire coup double. De renouer avec un personnage mythique du roman d’espionnage, le Condor, en lisant James Grady ; et de découvrir quel est le crime de Julian Wells avec Thomas H. Cook. Deux romans qui jonglent avec les codes balisés du genre pour mieux les revitaliser.

James Grady est l’auteur des Six jours du Condor (Rivages noir), publié en 1974 et adapté au cinéma dans la foulée par Sydney Pollack, avec Robert Redford et Faye Dunaway. Pour l’occasion et pour un meilleur rythme narratif, de six jours, le film passera à trois. Anecdotique me direz-vous, pas tout à fait. Car ce film est devenu emblématique d’une époque, à tel point qu’il a presque éclipsé le roman. Pourtant, Grady a continué son petit bonhomme de chemin auprès d’espions vieillissants, avec le fabuleux Fleuve des ténèbres (Rivages noir) ou encore « le meilleur roman » sur l’affaire du Watergate vue de l’intérieur, La Ville des ombres chez Rivages noir (c’est pas moi qui le dit c’est James Ellroy lui-même !) Mais l’agent connu sous le nom de code Condor, c’est surtout le héros de tous les libraires, car il est payé pour lire et décortiquer la presse et les romans en quête de messages cachés. Quarante ans ont passé, l’espion de la C.I.A. a été interné dans un hôpital psychiatrique secret (sauf pour les lecteurs de Mad Dogs, publié chez Rivages noir). Traumatisé par de trop sombres missions, il est cependant relâché et mis sous surveillance. Un soir en rentrant chez lui – il travaille maintenant à la bibliothèque du Congrès −, il découvre un agent égorgé et crucifié. Retrouvant ses automatismes, il s’enfuit afin de se disculper et de trouver le ou les véritables coupables. Et, comme il y a quarante ans lors de sa première cavale, son salut viendra d’une femme… et même peut-être deux. Un roman d’espionnage subtil et souvent amer sur l’Amérique. Délaissant en apparence seulement les microcosmes familiaux qui lui sont habituels et dans lesquels il excelle, Thomas H. Cook nous entraîne dans une histoire qui flirte avec le roman d’espionnage, façon Graham Greene, celui du Troisième Homme (Le Livre de Poche). Et c’est une petite musique lancinante, comme celle du film, qui nous accompagne tout au long de ce roman. Julian Wells est un auteur fasciné par le mal, un écrivain voyageur d’un genre particulier. Il recherche à travers le monde à comprendre les grands criminels de l’Histoire. Gilles de Rais, la comtesse Élisabeth Báthory, ou encore le tueur en série russe Andreï Romanovitch Tchikatilo. Une quête qui cache peut-être un terrible secret. Le roman commence par son suicide, presque une mise en scène, une barque au milieu d’un étang et du sang qui s’écoule. Pourquoi ? se demande son meilleur ami, le critique littéraire Phillip Anders. Épaulé par la sœur du défunt dont il a toujours été amoureux, il se lance sur les traces de son ami perdu. Et si tout avait commencé quelques années auparavant, lors de ce voyage en Argentine qu’ils avaient fait ensemble ? Et si son propre père, obscur fonctionnaire de l’État, n’était pas en réalité le coupable ? Le crime de Julian n’est-il pas à l’image de son œuvre mortifère, qui consistait à se placer du côté des victimes, des morts, de ceux que l’on avait trahis ? à donner une voix aux disparus… entre autre à cette femme, Marisol, leur guide, rencontrée en pleine dictature argentine ? « Comme une pierre que l’on jette dans l’eau vive d’un ruisseau et qui laisse derrière elle des milliers de ronds dans l’eau. »

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