Polar

John Brandon

Citrus County

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photo libraire

Chronique de Jérôme Dejean

Librairie Les Traversées (Paris)

Les éditions du Masque poursuivent la traduction des romans de John Brandon. Après Citrus County publié en 2012, voici l’occasion de retrouver ce jeune auteur plus que prometteur. À noter que Citrus County est réédité en même temps au Livre de poche. D’une pierre deux coups.

Little Rock, deuxième livre de John Brandon publié au Masque, est en fait son premier roman. L’action du livre se situe en Arkansas de nos jours, mais aussi dans le passé, celui des années 1970. Le titre original de Little Rock est d’ailleurs Arkansas – dans la langue de Faulkner. Citrus County, traduit chez le même éditeur, est en fait son deuxième roman. L’intrigue de Citrus County se déroule en Floride. Vous me suivez ? Pourquoi ce préambule ? Je m’explique. Citrus County est un remarquable roman sur l’adolescence, une œuvre sans concessions qui débute comme un roman policier : un crime, une investigation, des enquêteurs. Qui peu à peu bascule vers le roman noir, très noir, tout noir. Un roman sombre et désespéré, car porté par une prose limpide, presque poétique et ultra-efficace. J’ai songé au Denis Johnson de Jesus’ Son (Christian Bourgois, 1996).
Little Rock, le livre, donc, et non pas la ville, nous fait partager l’odyssée de deux jeunes gens. Swin, d’origine latino, garçon avec « tout plein de sœurs », intelligent et rapide, inexorablement cleptomane, qui abandonne les études presque sans le remarquer. Et Kyle, un grand gaillard, une « baraque ». Son truc à lui, c’est de voler ce dont il a besoin ou dont il pense avoir besoin un jour. D’errances multiples en petits boulots, les deux protagonistes se retrouvent à partager un étrange quotidien. Le jour, ils travaillent à l’entretien d’un parc régional au sud de l’Arkansas, la nuit, ils convoient des marchandises vers des destinataires plus que louches et douteux. Le roman suit ces deux compères paumés, mais aussi tout une galerie de personnages originaux et terriblement attachants. À commencer par Frog, le patron mystérieux de cette petite entreprise « qui ne connaît pas la crise », qui nous raconte, depuis les années 1970 jusqu’à aujourd’hui, son ascension en tant que parrain de la drogue. Il faut noter que Frog parle à la deuxième personne du singulier tout au long du roman, presque en aparté, nous faisant complice de ses trafics jusqu’au tout dernier chapitre où le « tu » est remplacé par le « je ».
Une galerie de personnages à la Harry Crews ou James Crumley, des perdants magnifiques ou les femmes sont bien présentes également. Johnna l’infirmière dont va s’amouracher Swin et cette dame toujours de rose vêtue, Wendy, une Barbara Cartland chez les ploucs. Et puis Elle, l’intermédiaire, qui vit à deux pas dans un mobile-home...
Bien sûr, il va y avoir un meurtre et les deux apprentis devront se serrer les coudes face à l’adversité. La tension va grimper jusqu’au dénouement inattendu et terriblement amer. La force de l’écriture de John Brandon est de nous balader entre rires et larmes sur des chemins de traverse.

 

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