Littérature étrangère

Martin Amis

Inside Story

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Chronique de Stanislas Rigot

Librairie Lamartine (Paris)

En dynamitant son autobiographie à grand renfort de fiction, Martin Amis propose un roboratif voyage en Littérature où s'entrechoquent son érudition, son humour et sa férocité, au gré d'aventures, de rencontres, de réflexions plus percutantes les unes que les autres.

« Bienvenue ! Prenez la peine d'entrer…Tout le plaisir et le privilège sont pour moi. » Le nouveau livre de Martin Amis s'ouvre sur une cordiale invitation à s'installer à Strong Place, New York, son foyer d'alors (nous sommes en 2016). Celle-ci laisse dans un premier temps le lecteur impressionné : on le serait à moins au vu de la carrière et de la stature du Monsieur. Mais aussi méfiant : on le serait à moins au vu de sa sulfureuse réputation ! Résultat, le lecteur se surprendrait presque à tourner les pages avec précaution, s'enfonçant à petits pas dans cette intrigante et volumineuse autobiographie, se demandant bien pourquoi il a accepté cette proposition à traverser 700 pages en si complexe compagnie. Mais alors que l'ouverture, en forme de prélude, dixit l'auteur, passe de l'offre d'un whisky à Nabokov et au chat Spats, l'autre maître des lieux, pour rebondir sur ses enfants et leur éducation, puis pivoter avec une anecdote sur Trump, pour finir par s'enfoncer dans des réflexions sur l'âge qui file ou sur la page blanche à laquelle il s'est heurté lorsqu'il s'est lancé dans ce projet, et que tous ces éléments, aussi disparates que possible, passionnent et s'enchaînent avec une rare fluidité, le charme de ce livre inclassable, surprenant, bouleversant, irritant, fascinant, (et qui va se faire fort de le rester jusque dans ses dernières pages) agit. Avec le déploiement de ses cinq grandes parties qui s'encastrent dans l'Histoire des dernières décennies, le voyage peut commencer entre récit et fiction, sans que jamais les frontières n'apparaissent. La littérature y sera reine : de nombreux conseils d'écriture sont disséminés ici et là, ainsi que de savoureuses citations, des professions de foi et des coups de griffes, incitant à poursuivre la lecture ailleurs. L'actualité, l'Histoire, la politique aussi (les fantômes du 11 septembre, Jérusalem) sans oublier l'amour (la passion selon Phoebe) et l'amitié. Trois figures d'écrivains qui ont durablement marqué Martin Amis, vont se détacher : Philip Arthur Larkin, le poète ; Saul Bellow, le romancier ; Christopher Hitchens, l'essayiste. Ces morts n'auront de cesse de surgir dans le récit, offrant de longs chapitres aux titres souvent désarmants (Belzébuth, la Nuit de la Honte) et où se jouent de brillantes joutes oratoires. Ajoutons à cela la magnifique traduction de Bernard Turle et vous comprendrez que ce livre non identifié est un bonheur qui fuit le moindre calibrage, la tentative de résumé et autres vulgarités d'une époque à pitch.

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