Littérature française

Laurence Cossé

Les vestiges

L'entretien par Stanislas Rigot

Librairie Lamartine (Paris)

Revenant sur une histoire d'amitié d'une rare force qui, enfant, l'a profondément marquée, Laurence Cossé nous offre avec pudeur et élégance son livre le plus personnel. Elle mêle à ce récit le portrait d’une époque, la France des années 1960, et celui d'un milieu, une certaine bourgeoisie.

Comment en êtes-vous venue à écrire ce livre que vous portez visiblement très à cœur ?

Laurence Cossé - Cela fait très longtemps que je voulais écrire ce livre qui est tout simplement le récit d'un chagrin d'amour, mon premier, un chagrin d'amour qui ne s'est pas pensé comme cela à l’époque puisqu’il s’agissait de l'histoire d'une amitié intense de deux pré-adolescentes qui ensuite se brise. Après coup, en expérimentant ce qu'est l'amour, j'ai compris qu'il n'y avait pas de différence de nature, c'était d'une telle intensité que le chagrin a été ravageur pour moi qui avait été délaissée. J'ai encore du mal à en parler car c'est la première fois que j'écris quelque chose d'autobiographique ‒ ce livre, j'en ai pris conscience après l'avoir terminé, est d'ailleurs écrit sur le ton de la confidence. Cette amie est morte tôt et le jour de sa mort, je me suis dit très spontanément : je vais écrire sur elle mais pas tant que sa mère sera en vie. Alors, durant toutes ces années, j'ai écrit d'autres choses mais j'ai pris beaucoup de notes. Tout ce livre est fait de choses vécues.

 

Alors en quoi est-ce un roman du moment où tout est vrai ? Où se situe la part de fiction ?

L. C. - La question du genre m'est totalement indifférente mais je trouve le terme « récit » pléonastique. J'ai fait mettre « roman » car c'est écrit comme un roman. D'abord il y a énormément de choses tues : je parle de quelqu'un qui a vécu et il y a des choses trop intimes pour que j'en parle. L'idée n'était surtout pas de tout dire mais d'évoquer ce qui a été essentiel et ce parti pris de sélection, des pans de réalité traités, me semble très proche du roman. Même s’il n'y a pas de fiction et je ne crois pas que cela soit le critère définissant le roman. J'avais été frappée par l'expression de Patrick Deville qui avait dit : « j'ai écrit des romans d'aventure sans fiction ». C'est exactement ça. Ce qui compte pour moi, c'est que ce soit de la littérature, que ce soit écrit. Un autre paramètre est que tout ceci s'est déroulé il y a très longtemps et que je me méfie de la mémoire. La mémoire est romancière : elle recrée, elle imagine.

 

Ce qui frappe aussi ,c'est l'aspect extrêmement ramassé du roman.

L. C. - Pour moi, le travail d'écriture est un travail de haute précision. Je cherche l'idée, le concept, le mot juste mais je ne me demande jamais en commençant le manuscrit quel volume va-t-il avoir. Là il y avait beaucoup de matière mais le livre s'avère court. J'ai tendance à dire qu'un auteur de littérature, lorsqu'il écrit par nécessité, non pour plaire, n'a guère le choix ni du sujet, ni du moment. Il n'a pas non plus le choix de la forme parce qu'elle est étroitement commandée par le sujet. C'est aussi un travail de lâcher prise : a contrario de beaucoup de travaux intellectuels, en littérature, il faut abandonner le contrôle et se laisser aller à tout ce qui s'impose à vous. Un exercice très particulier qui fait que, par moments, vous êtes en panne. Ce que certains ne comprennent pas toujours car cet exercice relève de forces profondes, de l'inconscient. C'est assez difficile à vivre aujourd'hui où nous sommes tous très volontaristes, très actifs, avec un soucis d'efficacité. Pour écrire un roman, il faut lutter contre ce conditionnement.

 

Il faut aussi noter que cette histoire d'amitié n'a rien de toxique.

L. C. - C'est une amitié à l'âge présexuel. Cette amitié est très claire, très simple, pas embarrassée d'elle-même.

 

C'est aussi un grand roman sur un milieu : les deux familles sont bourgeoises et vous allez décrypter non pas les oppositions mais plutôt les variations entre ces deux univers.

L. C. - Ces familles sont voisines, s'apprécient mais elles n'ont pas la même culture. Elles ont un caractère propre. J'ai été frappée par la précision des souvenirs de ces différences : il y a avait, dans ma famille, un côté un peu foutraque, non maîtrisé, assez artiste et, dans la sienne, une grande rigueur que j’aimais, une grande netteté, quelque chose qui devait beaucoup me rassurer : c'est ça qui m'importait.

 

« De 10 à 14 ans, j'ai connu l'amour. » C'est ainsi que s'ouvre Le Secret de Sybil. L'intensité ainsi posée, Laurence Cossé remonte le fil de cette relation, dessinant le portrait de son amie, à commencer par son étonnante chevelure, une jeune fille avec qui elle va vivre une amitié exclusive, fondatrice à sa manière. Une histoire sur laquelle ne va pas tarder à planer l'ombre de la littérature et de la vocation de son auteure. Mais les chemins prendront progressivement, notamment sous l'impulsion des familles, des directions différentes, jusqu'à l'inévitable éloignement qui prendra une coloration toute particulière, des années plus tard, au moment de la disparition brutale de Sybil. Ce roman initiatique aux allures de confession bouleverse.