Littérature française

Xavier Bouvet

D’un Rubicon à l’autre

Entretien par Stanislas Rigot

(Librairie Lamartine, Paris)

Avec ce premier roman oscillant entre la fresque et l’intime, Xavier Bouvet fait une entrée remarquée en littérature en nous plongeant dans la tragique Histoire de l’Estonie de 1934 à 1944, période qui verra le pays successivement envahi par l’URSS, l’Allemagne et à nouveau la Russie soviétique.

Qu'est-ce qui a fait que vous vous êtes lancé dans l'écriture de ce grand roman historique ?

Xavier Bouvet J'ai découvert en 2020 l’histoire d’Otto Tief, le chef du gouvernement constitutionnel proclamé en septembre 1944, dont toute la vie repose sur des décisions qui auront des conséquences vertigineuses pour lui, sa famille et son pays. Je voulais écrire depuis quelques années et j’ai su alors que c'était le bon moment. Il m’a fallu ensuite trois ans de recherches, de documentation, de travail sur la structure et enfin d'échanges avec mon éditrice pour accoucher de ce livre qui, au-delà de l’Estonie, a vraiment une dimension universelle sur les choix, les décisions, les renoncements et le vertige de nos vies face à l'inéluctable.

 

Vous nous immergez littéralement dans cette histoire, notamment grâce à l’architecture du livre : comment avez-vous construit ce redoutable mouvement de balancier entre septembre 1944 et les dix années qui ont amené à cette situation ?

X. B. Je suis d’abord parti sur un récit proche de la non-fiction, avant d'épouser le genre du roman, pour mettre en scène et donner de la chair au texte et ainsi le partager avec le plus grand nombre. Le premier moteur de mon écriture était vraiment de transmettre cette histoire si mal connue que j'ai trouvée absolument ahurissante. J'avais énormément d'anecdotes incroyables à traiter de manière concomitante et un professeur en cinéma m’a indirectement donné un conseil en m’indiquant que la qualité première d’un film était dans son montage, dans la succession et l’écho donné aux différentes parties. J’ai alors décidé de mettre en résonance les scènes, de raconter le choc entre l’aujourd’hui et l’hier, d’en dégager les réflexions qui en naissent. La structure s’est alors imposée d’elle-même.

 

Le livre est écrit à la hauteur des personnages, il n’y a pas de narration aérienne expliquant les événements et le lecteur se retrouve avec eux, se questionnant en permanence sur les choix qu’il aurait fait à leur place. Résultat, on a un livre extrêmement documenté, précis historiquement parlant mais aussi très émouvant.

X. B. Oui, je crois que c'est quelque chose qui est très important à souligner : ce n’est pas une histoire de personnages hors du commun. Par exemple, le personnage central, Otto Tief, était d'abord un père de famille, un avocat, pas un résistant au sens clandestin et lutte armée du terme. C'était quelqu'un d’extrêmement rationnel, mesuré et reconnu comme tel, plutôt taiseux. C'est cet homme-là qui va pourtant s'engager dans une histoire qui est complètement incroyable, une mission tout à fait téméraire, qui va l’entraîner à prendre des décisions absolument vertigineuses. 

 

C'est un roman choral avec nombre de destins comme on imagine que seule la guerre ou les moments d'extrême tension peuvent générer.

X. B. Et comme seule l'Estonie sans doute peut en porter ! Cela pose des dilemmes moraux complexes puisque l'Estonie a été une première fois occupée par l'Union soviétique entre 1940 et 1941 ‒ une occupation qui a été extrêmement violente avec des déportations massives : 10 000 personnes sur une population d'un 1 000 000 ‒ puis l’Allemagne, puis à nouveau les Soviétiques. C’est une histoire dont on parle peu (à l’exception de Sofi Oksanen avec Purge) et qui est celle des choix qu'on doit faire quand il n’y a aucune évidence, aucune certitude de la direction à prendre, y compris d’un point de vue moral. Cette incertitude a résonné en moi car nous vivons aujourd'hui des événements de l'ordre de l'inéluctable ‒ ou en tout cas que l’on ressent comme tel ‒, notamment sur le plan environnemental. Tous les jours, nous nous posons la question de savoir si nous avons encore une prise sur l'Histoire, si nous pouvons encore avoir une histoire individuelle et collective riche de sens dans ce contexte-là. L’aspect choral permet de rendre compte, de faire percuter les choix et les trajectoires, de poser des questions auxquelles je crois, honnêtement, qu’il n’y a pas de bonnes réponses mais simplement des élans humains.

 

Septembre 1944. Alors que le pays est en partie occupé par l'armée allemande qui se replie dans le plus grand désordre, et par l’Armée Rouge qui avance inexorablement, des Estoniens décident de proclamer le retour à l'indépendance de leur pays, espérant que la potentielle reconnaissance de leur nouveau gouvernement par les Alliés puisse les protéger de la Russie que rien ne semble pouvoir arrêter. Alternant entre l’aventure de ces hommes et le récit des dix terribles années qui viennent de s’écouler, Le Bateau blanc raconte l’incroyable et méconnu destin de ce pays et de ses habitants, confrontés, parfois jusqu’à l’absurde, aux appétits de puissance de ses voisins.

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