Littérature française

Maëlle Guillaud

Mariage en blanc

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Entretien par Stanislas Rigot

(Librairie Lamartine, Paris)

Deux amies, Lucie, Juliette, 19 ans. L’une croit, l’autre non. Lucie abandonne ses études et rentre au couvent. Juliette, sans comprendre le choix de son amie, décide ne pas l’abandonner. Pour son premier roman, Maëlle Guillaud s’attaque à un sujet complexe avec sensibilité et une grande justesse de ton.

Lucie croit. Et sans qu'elle n'ait l'ombre d'un doute, cette foi l'emplit de bonheur depuis longtemps. Ses études supérieures sont difficiles, mais au-delà de la pression et des contraintes, Lucie sent bien que sa place n'est pas vraiment là. Un jour, après réflexions, elle franchit le pas et rejoint une congrégation à Paris. Avec elle, nous pénétrons dans cet univers clos aux personnages hauts en couleur (la mère supérieure et son doberman !), aux règles souvent surprenantes et à la discipline de fer. Parallèlement, nous suivons Juliette, la meilleure amie de Lucie, qui, en pointillés (les visites sont rares et de courtes durées) mais coûte que coûte, essaye de maintenir un lien avec celle-ci. Regards croisés, doutes, colères et joies, Maëlle Guillaud entrelace les deux destins et donne à son sujet tout le relief nécessaire sans tomber, ni dans l'analyse, ni dans le pédagogique. L'incertitude planant sur la direction que prend le récit et les retournements d'une situation décidément bien étonnante n'en rendent ce premier roman que meilleur.

 

Pourquoi vous êtes-vous lancée dans l’écriture de cette histoire ?
Maëlle Guillaud — C’est une histoire que je porte depuis vingt ans. C’est arrivé à l’une de mes proches et c’est incompréhensible quand on n’a pas la foi, ce qui est mon cas. En fait, le couvent est comme une cage de verre – c’est l’image que je garde après l’écriture : on a l’impression qu’on peut voir tout ce qui s’y passe de l’extérieur, et que, de l’intérieur, les sœurs ont un contact avec la réalité. Mais c’est faux. Juliette va continuer à rendre visite à Lucie parce qu’elle en a fait le serment, comme dans les grandes amitiés adolescentes. Elle devinera progressivement qu’en réalité, son amie accepte tout dès qu’elle entre dans la congrégation. Dès qu’elle prononce ses vœux, elle accepte les humiliations et les sacrifices. Même la mère de Lucie, qui elle, est croyante, ne peut pas le comprendre.

On ne sait pourtant jamais si le récit est à charge ou non. Lucie et Juliette doutent chacune à leur manière du chemin que l’autre prend et les deux se mettent en colère pour différentes raisons. Malgré la rudesse (parfois) du propos, vous ne dénoncez pas.
M. G. — Dénoncer n’était pas mon but. Il s’agit d’un roman. Le sujet est compliqué, mais l’idée consistait à s’interroger sur l’enfermement. Comment le supporter ? Comment supporter quand on vous dit que, dans un couvent, il y a deux types de pensées : les spirituelles qui sont les bonnes, qu’il faut développer, et puis toutes les autres pensées, les pensées impures qui ne sont pas tolérées. Comment peut-on demander à un être humain de supporter d’être enfermé et de ne plus penser par lui-même ? Or le lien entre les deux filles est entièrement constitué de souvenirs. Juliette représente les souvenirs de Lucie et Lucie a beau réciter les psaumes, elle a beau chanter, prier, elle n’arrive pas à se débarrasser de ses pensées, tout simplement parce que je ne suis pas sûre que l’on puisse y arriver. Mais ce lien est aussi ce qui lui permettra de tenir. Ce que Juliette ignore tout du long, car elle est dévorée par sa colère et son incompréhension.

Lucie croit. Vous écrivez : « ici l’amour l’enivre même si elle ignore les effets de l’ivresse ». Pour vous, qu’est-ce que la vocation ?
M. G. — Un grand amour, un amour fou qui vous emporte, qui vous appelle, qui vous détruit – ou pas si vous arrivez à être plus fort que ce qu’on attend de vous. Mais c’est avant tout un grand amour que je ne comprends pas particulièrement. Comme une sorte d’emprise que l’autre a sur vous, au point qu’il lui est possible d’exiger l’impensable. Les religieuses sont mariées à Dieu, elles en sont les épouses. Elles portent une alliance et se considèrent à la fois comme les épouses et les soldats de Dieu.

Cette congrégation existe-t-elle ?
M. G. — Elle est très inspirée d’une congrégation qui existe.

Les règles sont impressionnantes et on imagine que ces lois qui régissent le quotidien, souvent déconcertantes, ne sont pas des informations qui filtrent facilement…
M. G. — En effet, ça ne filtre pas du tout. Mais même si mon histoire est inspirée d’une certaine réalité, il y a la part du romancier. Ici, il s’agit de décrire les règles d’une congrégation en plein dysfonctionnement. J’imagine que certaines congrégations peuvent être plus heureuses.

Lucie est-elle heureuse ?
M. G. — Oui, bien sûr, puisqu’elle croit. Elle est convaincue de vivre son premier grand amour ; celui qui, comme toutes les premières fois, vous saisit, vous emporte malgré vous.

Ce qui est fascinant aussi, c’est qu’en plus de l’abandon de l’esprit, puisse être exigé l’abandon du corps – avec la règle du poids minimum par exemple.
M. G. — C’est un univers sans désir où le corps devient source de honte. Et pourtant, de façon très paradoxale, les chambres sont équipées de miroirs. C’est quelque chose qui m’a beaucoup interpellé : à quoi sert-il de posséder un miroir si le corps n’a plus vocation à séduire ? C’est comme si on assistait à l’anéantissement de soi, comme si l’existence passée était devenue fantomatique et que le corps incarnait cette négation. Lucie assiste peu à peu à son épaississement, une lourdeur physique qui doit s’accompagner d’une légèreté spirituelle qu’elle n’a pas.

Lucie ou la vocation est le roman d’une double initiation, celle de Juliette autant que celle de Lucie…
M. G. — Juliette est passionnée. Elle ne comprend pas. Elle vit la décision de son amie de se retirer du monde comme un abandon. Le lien n’est toutefois pas complètement rompu, mais il est biaisé : qu’est-ce qu’un lien qui se réduirait à trois-quarts d’heure par mois dans un parloir ? Puis Juliette va entreprendre un voyage qui lui ouvrira l’esprit, lui laissant entrevoir ce qu’expérimente son amie. En allant vers les autres, elle prend conscience que l’on peut s’épanouir autrement que dans un univers conjugal, maternel, professionnel…

Cette congrégation à la structure ultra verticale est en même temps ultra individualiste.
M. G. — Oui, on s’imagine une société bienveillante, ouverte à autrui, passant ses journées en prières… Or, on découvre qu’en réalité les personnages évoluent au sein d’un monde de compétition pour le pouvoir, peuplé d’égos surdimensionnés, de gens qui acceptent ou pas de se soumettre. Mais ces femmes sont toutes de grandes amoureuses, intimement convaincues d’être les épouses du Christ et incapables de se rendre compte qu’elles reproduisent certains des pires travers du monde extérieur.

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