Polar

Colin Niel

Tree of Life

Entretien par Stanislas Rigot

(Librairie Lamartine, Paris)

Après nous avoir laissés, un rien pantelant, avec Entre fauves (Le Rouergue et Le Livre de Poche), Colin Niel nous reprend à la gorge avec Darwyne, roman aussi vénéneux que solaire qui se joue des codes du roman social pour nous délivrer un étonnant roman d'apprentissage au cœur d'une Guyane toujours mystérieuse.

Qu’est-ce qui a déclenché votre retour à la Guyane ?

Colin Niel - À vrai dire, je ne vois pas ce roman comme un « retour » car j’ai l'impression de n'avoir jamais vraiment quitté la Guyane, ce territoire dans lequel j'ai déjà ancré quatre de mes romans et auquel je suis tant attaché. J'ai continué de m'y rendre, environ une fois par an, j'ai continué d'y faire des rencontres, j'ai continué de lire tout ce qui la concerne. Pour moi, avec sa richesse culturelle infinie (créole, noire-marron, amérindienne, métropolitaine, brésilienne, haïtienne, surinamienne...), avec cette forêt amazonienne omniprésente qui la recouvre presque entièrement, avec les crises qu'elle traverse, économique, démographique, écologique, identitaires aussi, la Guyane est à l'image du monde d'aujourd'hui et des grands questionnements sur nos futurs. Je la trouve infiniment romanesque, comme le berceau inépuisable de toutes les histoires possibles, de tous les drames et de tous les émerveillements. Ce qui ne m'empêche pas d'avoir des envies ou projets de romans se déroulant dans bien d'autres lieux.

 

Pouvez-vous nous présenter le héros si particulier (et inoubliable) de votre nouveau roman ?

C. N. - Darwyne, le principal personnage de ce roman, est un enfant de 10 ans qui vit dans une petite bâtisse bricolée au bout d'un quartier qui a tout d'un bidonville. C'est un gamin bizarre aux yeux de tous ceux qui le croisent : il a les pieds tordus, se déplace en boitant, il est « un peu sauvage » et passe son temps à bricoler et tailler des objets dans des bouts de bois ou d'os. Mais Darwyne est surtout déchiré entre deux mondes : d'un côté sa mère, Yolanda, qu'il aime d'un amour filial inconditionnel, qu'il admire et dont il cherche à chaque instant les traces d'amour ; et de l'autre la forêt, avec laquelle il entretient une relation très singulière, intime, voire magique.

 

Nous allons nous enfoncer dans cette histoire aux côtés de Darwyne, de Mathurine qui travaille à la protection de l’enfance et de Jhonson, le nouveau « beau-père » de Darwyne. Pourquoi avez-vous choisi de laisser la mère de Darwyne, Yolanda, autre protagoniste clef, hors du récit ?

C. N. - C'est vrai, le personnage de Yolanda est central dans cette histoire mais j'ai fait le choix d'essentiellement ne pas la raconter de son point de vue. C'était un choix délibéré, je voulais que cette mère ait quelque chose d'insaisissable, que sa façon d'être et surtout d'élever son enfant ne nous apparaisse qu'à travers le regard des autres. De Darwyne, persuadé que sa mère est la seule à savoir « comment s'y prendre avec lui » ; de Jhonson, qui ne sait pas ce que c'est que d'avoir un fils et s'interdit de la juger ; et enfin de Mathurine, l'éducatrice de la protection de l'enfance, qui porte un regard bien différent sur ce qui se passe derrière les murs de cette baraque.

 

Avez-vous pensé à cette forêt amazonienne omniprésente comme un des personnages principaux ?

C. N. - Je voulais une forêt véritablement vivante, oui, active et partie prenante de l'histoire. Je voulais qu'en avançant dans l'histoire, l'Amazonie prenne de plus en plus de place dans la vie des personnages humains. Je voulais une faune et une flore qui s'immiscent partout, qui soient en mesure de franchir cette frontière que les hommes essayent d'entretenir pour venir jusqu'à l'intérieur des maisons et aux pieds des lits. Mais ce que je voulais montrer aussi, c'est que cette Amazonie change de visage d’un personnage à l'autre : pour Jhonson la jungle est un ennemi à combattre voire à dresser, pour Yolanda c'est un repoussoir, le lieu dont il faut réussir à s'affranchir, alors que pour Darwyne, c'est au contraire un refuge et l'endroit où il se sent le plus à sa place.

 

À l’instar d’Entre fauves, vous n’avez de cesse de brouiller les pistes avec ce récit aux allures de drame familial et social qui part dans des directions totalement inattendues : comment définiriez-vous Darwyne ?

C. N. - Quand j'écris, j'essaye de ne pas réfléchir à cette question du genre, à la façon dont mon roman pourrait être classé. Mais j'avais une envie d'un récit qui dérive, qui commence comme un roman social, solidement ancré dans le réel, avant de glisser vers quelque chose qui s'apparente à du fantastique, avec une part de magie, de mythologie. Pour moi, c'est avant tout l'histoire d'une émancipation, d'un enfant qui apprend à s'accepter pour ce qu'il est, à s'affranchir des normes. Et qui ne trouve sa voie que dans un monde auquel lui seul à accès et peut-être issu de son imagination.

 

Darwyne est un jeune garçon qui vit avec sa mère Yolanda dans une baraque à la frontière de la forêt amazonienne. La petite famille est pour le moins dépareillée, entre la mère d'une rare beauté et le fils handicapé aux allures de vilain petit canard. Mais l'amour semble bien présent. La mère fait tout pour tenir son foyer malgré la grande pauvreté dans laquelle ils se trouvent. Alors qu'un nouvel homme arrive dans la vie de Yolanda au désespoir de Darwyne, une assistante sociale vient enquêter suite à un signalement anonyme déposé quelque temps auparavant concernant le garçon. Comme à son habitude, après avoir présenté les différents personnages de l'intrigue et surtout après avoir laissé penser à son lecteur qu'il avait toutes les cartes en main pour se projeter dans la suite des événements, Colin Niel déploie surprises et retournements, amplifiant un suspense qui ne tarde pas à devenir implacable. 

 

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