Essais

Jonathan Freedland

L'Évadé d'Auschwitz

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Chronique de Isabelle Aurousseau-Couriol

Librairie de Paris (Saint-Étienne)

La définition de l’antisémitisme dans le dictionnaire Larousse, « Doctrine ou attitude d’hostilité systématique à l’égard des juifs » se complète par ce développement : « Il se manifeste surtout en Allemagne, en France (affaire Dreyfus) et dans l’Est européen. De 1940 à 1945, au nom de l’idéologie nationale-socialiste, entre 5 et 6 millions de juifs d’Europe sont exterminés. ».

En août, dans la rentrée littéraire, les éditions Gallimard ont publié un premier roman, Par-delà l’oubli, autour du personnage de René Blum, le plus jeune frère de Léon Blum. Aurélien Cressely, l’auteur, se penche sur cet homme qui défendra les arts de cette première moitié du XXe siècle. Proche de Proust (dont il négociera la première publication), critique pour le journal Gil Blas, homme de théâtre, directeur artistique des Ballets de Monte-Carlo à la suite de Diaghilev, il a su prendre ses distances avec son frère, l’homme politique, tout en l’admirant. Il est arrêté en 1941 lors de la rafle des notables. Il est interné à Compiègne puis à Drancy avant d’être déporté à Auschwitz en septembre 1942. Ce texte intéressant et bien écrit, se penchant également sur les questions de judaïté et de religion, nous permet de découvrir ce personnage qui n’a jamais voulu quitter la France et s’expatrier pour se protéger.

En complément des podcasts d’une série documentaire enregistrée pour France Inter et que vous pouvez entendre et (ré)écouter en replay, il me semble nécessaire de signaler le remarquable ouvrage de Philippe Collin, Léon Blum, Une vie héroïque, publié aux éditions Albin Michel. Que reste-t-il dans notre mémoire collective de cet homme qui a marqué la première moitié du siècle dernier ? Les congés payés et la semaine de 40 heures, incontestablement, mais c’est réduire son action politique à quelques mois de l’année 1936. Né dans une famille juive originaire d’Alsace, il fera des études brillantes au lycée Henri IV avant d’intégrer Normale sup. Voulant devenir écrivain, il participe à différentes revues littéraires. C’est l’époque d’André Gide, de Pierre Louÿs, de Mallarmé, de Marcel Proust… Il est un grand admirateur de Maurice Barrès. En 1896, après des études de droit, il entre au Conseil d’État, menant une carrière de haut fonctionnaire. C’est l’affaire Dreyfus qui va bousculer le jeune dandy. Se tournant vers Jean Jaurès, il en devient son disciple et se dirige vers le socialisme. Exempté pendant la guerre, il prendra les rênes de la SFIO, devenant le gardien de « la vieille maison » suite au congrès de Tours et la scission de la IIIe Internationale. Député à Paris mais surtout dans la circonscription de Narbonne, chef du gouvernement, très largement critiqué par les antisémites, conspué par la droite, il prône un socialisme humaniste. Libertin, marié à trois reprises, son essai Du Mariage (récemment réédité aux éditions Pocket) choque la morale de la bonne société, devenant une cible pour la propagande d’extrême droite. Le gouvernement de 1936 est de courte durée. La montée des fascismes se profile, la guerre éclate, Pétain et Laval prennent la tête du pays mais Léon Blum ne s’exile pas malgré les conseils de ses proches. Interné, poursuivi dans un procès à Riom, il finit la guerre à Buchenwald. Il ne lui reste alors que quelques années à vivre. Il est grand temps de découvrir ce personnage extraordinaire et son héritage.

Quand on parle de Shoah, on pense tout de suite aux témoignages des derniers survivants. Dans l’ouvrage Se Souvenir ensemble publié aux éditions Grasset, Claude et Evelyn Askolovitch échangent. Evelyn est née à Amsterdam en 1938 au sein d’une famille juive originaire d’Allemagne. Elle est déportée ainsi que ses parents dès 1943, tout d’abord au camp de Vught, ensuite à Westerbork, le Drancy hollandais, avant de partir pour Bergen-Belsen. Ils seront libérés grâce à la Croix-Rouge et de faux papiers du Honduras. Claude, son fils, journaliste, tend à établir un dialogue pour comprendre et apprendre ce passé que sa mère raconte en témoignant auprès d’enfants d’écoles et de lycées. Evelyn a du mal à se confier à ses enfants, Claude écoute mais n’entend pas toujours. Certains souvenirs sont issus du texte écrit par la mère d’Evelyn, Anny. Cela permet la reconstitution des origines de la famille mais aussi de faire revivre ceux qui ont disparu tragiquement ou ceux qui se sont exilés. Comment deux générations se confrontent autour des souvenirs de déportation et de la vie après-guerre.

Pour terminer, il faut lire le livre L’Évadé d’Auschwitz de Jonathan Freedland publié aux éditions Bouquins. C’est une enquête impressionnante autour de Walter Rosenberg (il prend le nom de Rudolf Vrba à la suite de son évasion) et de son ami Alfred Wetzler. Tous deux s’enfuient du camp d’extermination en avril 1944. Du 7 au 24 Avril, ils marchent de la Pologne à la Slovaquie, leur pays d’origine. Ils ont pour projet d’avertir les juifs de Hongrie de leur prochaine déportation. Ils réalisent un document relatant ce qui se passe à Auschwitz et ce rapport Vrba-Wetzler est envoyé aux différentes communautés juives et à différents hommes politiques tels que Roosevelt et Churchill. Les résultats ne seront pas à la hauteur de leurs espérances. Rudolf Vrba a accumulé dans sa mémoire phénoménale des renseignements nombreux sur le système ferroviaire, le nombre de déportés gazés dès leur arrivée, le fonctionnement du camp où il est resté pendant deux ans. Jonathan Freedland détaille chaque information. Ainsi, Kanada ou Mexico ne seront plus des données géographiques après cette lecture.

Ces quatre ouvrages nous permettent de découvrir des personnalités célèbres ou anonymes, témoins ayant subi l’hostilité de leurs contemporains.

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