Essais

Transmission

Previous Next

Par Isabelle Aurousseau-Couriol

Librairie de Paris (Saint-Étienne)

Le Petit Robert définit ce terme ainsi : 1 Fait, manière de transmettre, de se transmettre, 2 Le fait de laisser à ses descendants, à la postérité, 3 Action de faire connaître, 4 Transport d’un lieu à un autre par un système physique.

On peut remarquer que les cinq titres présentés ici répondent à l’une ou l’autre, voire plusieurs de ces définitions, du travail de traduction à l’étude universitaire, du témoignage à la correspondance en passant bien sûr par le roman.

Tout d’abord, la traduction permet de faire découvrir des ouvrages inaccessibles à ceux qui ne maîtrisent pas la langue dans laquelle ils ont été rédigés. Et ce n’est pas Olivier Mannoni qui nous dira le contraire. Avec Traduire Hitler, petit ouvrage paru aux éditions Héloïse d’Ormesson, il nous explique la difficulté de transcrire le plus exactement possible la pensée de cet homme politique. Mein Kampf est un texte au style confus, où il développe « des théories perverses et fumeuses », hermétique à la plupart des lecteurs. Olivier Mannoni défend l’idée de retraduire Mein Kampf mais il insiste pour la nécessité d’un appareil critique comme cela a été fait dans Historiciser le Mal (Fayard). Traduire Hitler lui permet de développer son intervention introductive parue dans cet ouvrage collectif et de démontrer combien il est important aujourd’hui encore de se pencher sur ces écrits et combien ceux-ci ont des répercussions sur notre époque, politiquement ou socialement.

Il est évident que le travail des historiens est primordial pour élever notre niveau de connaissance. Combattre en dictature, 1944 – La Wehrmacht face au débarquement de Jean-Luc Leleu nous plonge dans cette gigantesque bataille que fut le débarquement en Normandie. Nouvelle histoire de ce dernier ? Oui et non car il nous entraîne au sein des troupes du côté allemand. Il expose l’état de celles-ci après quatre ans de combats, les idées politiques des officiers, détaille la composition des unités militaires disparates, révèle que leurs services de renseignements sont moins efficaces que ceux des Alliés et qu’ils sous-estiment et surestiment systématiquement les attaques de ces derniers. Ainsi, l’offensive alliée prévue depuis plusieurs mois survient à contretemps de leurs attentes. Fausses informations, erreurs d’appréciation et les hasards de la bataille feront que les ennemis ne seront pas rejetés à la mer comme le demandait Hitler. Récit d’une bataille très meurtrière et surtout, chronique d’une défaite annoncée.

Avec Le Ghetto de Minsk, nous retrouvons le témoignage de Hersh Smolar l’un de ses derniers survivants. Ce ghetto n’a jamais été évoqué par les historiens. L’auteur reprend en 1989 le premier récit qu’il avait écrit dès la fin de la Seconde Guerre mondiale et qu’il agrémente d’autres souvenirs de compagnons. Minsk, ville soviétique au début de la guerre, est envahie lors de l’opération Barbarossa. Le secteur fermé est constitué de juifs polonais, Biélorusses et aussi d’Allemands déportés, dénommés les Hambourg pour marquer leur différence. C’est un ghetto à usage économique et la population trop jeune ou trop âgée, malade est éliminée avec l’utilisation de camions à gaz en complément de la Shoah par balles. La particularité, c’est que les juifs installés dans la ville ont participé à la révolution d’Octobre et se sont battus aux cotés des communistes. Ils connaissent la clandestinité et vont fuir dans les forêts alentour et combattre les Nazis aux cotés des Soviétiques. Un document original à découvrir, porté par l’historienne Masha Cerovic et le petit-fils de l’auteur, Piotr Smolar.

Un lot de lettres et votre vie en est changée. C’est le cas pour Rebecca Donner, l’arrière-petite-nièce de Mildred. Elle part avec cette correspondance sur les traces de cette jeune Américaine née dans une famille modeste, mariée à un Allemand rencontré à l’université et qui deviendra résistante dans cette Allemagne nazie. Arrêtée en 1942, jugée et décapitée en 1943, son existence a été cachée par les services secrets américains jusqu’à la chute du mur de Berlin où ces dossiers refont surface. Enseignant la littérature américaine, Mildred fréquente la bonne société de l’ambassade des États-Unis, sera amie avec Martha Dodd, la fille exubérante de l’ambassadeur raconté par Erik Larson Dans le jardin de la bête (Cherche Midi et le Le Livre de Poche). Proche des idées socialistes, avec son mari, ils participeront au mouvement de résistance en Allemagne, codant des messages pour aider l’URSS à renverser Hitler. Une personnalité au « destin exceptionnel ».

Avec Les Espions de Cambridge, nous allons suivre un engagement bien différent. Dans les années 1930, ces jeunes gens, étudiants de Cambridge, tous nés dans des familles proches de l’aristocratie, se déclarent rebelles à l’establishment. En même temps, à Moscou, Litvinov, un ancien ambassadeur, rêve de gagner quelques rejetons de la bonne société anglaise à la cause du communisme. Ils seront dans quelques années employés dans les grands services de la Couronne : BBC, MI6, Foreign Office… Des places enviables susceptibles de fournir de nombreux renseignements aux services secrets ancêtres du KGB. Pendant une trentaine d’années, les taupes soviétiques Philby, Mac Lean, Burgess, Blunt et Cairncross vont envoyer messages, documents… à l’URSS. Démasqués, certains partiront pour cette dernière mais le rêve n’est pas à la hauteur de leurs attentes. Ce livre passionnant est un vrai roman d’espionnage où la vérité dépasse la fiction.

Ces cinq ouvrages démontrent combien la transmission familiale, historique, diplomatique a pu changer le visage du XXe siècle.